95. Passer la frontière en train (KAZAKHSTAN / RUSSIE)

NDLR : Ces passages ont été écrits à chaud au moment même où l’action se déroulait. Exercice d’immersion et de réalisme dans un train au passage de la frontière en Russie. Seules les fautes d’orthographe et de français ont été corrigées.


Arrêt à la frontière russe

Tiens, on vient de s’arrêter à la frontière, je sors mon passeport et j’attends sagement que les douaniers vérifient tout ça.

Le train n’avance plus, j’entends des paroles en russe dans le haut-parleur de la frontière. Il fait chaud. En bruit de fond, des gens parlent et rient en russe. Je ne comprends pas le parler et le rire russe.

La jeune fille qui partage ma cabine est assise sur son lit et regarde silencieusement par la fenêtre. La lumière vive qui pénètre dans le compartiment fait ressortir le bleu de ses yeux et les transforme en un bleu proche de la couleur du drapeau kazakh… Elle remarque que je l’observe et détourne les yeux timidement, je regarde ailleurs.

On vient de me donner un papier d’immigration à remplir, il faut que j’inscrive mes dates de sortie du territoire russe, elles sont pour moi difficiles à anticiper. Je stresse un peu. Je sors de la cabine, des officiers passent devant moi, l’un d’eux me sert la main et semble déjà savoir que je suis français. L’attente. La chaleur. Combien de temps ça va durer ?

Je jette un coup d’œil dehors et je vois une vieille usine rouillée, des poteaux électriques en bois qui penchent dangereusement, des bâtiments abandonnés, des herbes folles, c’est la frontière, Bienvenue en Russie.

Un berger allemand vient de me renifler. On attend. Un homme avec une tête de bouddha entre dans notre compartiment, s’assied sur le lit du bas et vérifie nos tampons kazakhs, nous prend en photo, entre des informations sur son ordinateur et s’en va. Quelle chaleur !

La femme responsable du wagon entre pour nous donner des indications en russe et me demande si j’ai de quoi manger. J’ai. Elle sort. La même femme revient pour nous expliquer la combine à appliquer pour le passage à la frontière coté Russie. Nous sommes officiellement enregistrés dans un autre wagon, le numéro 6. Je vais donc y aller avec une sacoche pour la forme et me laisser fouiller. Elle a aussi pris mon couteau pour le cacher en lieu sûr. Sympa.

Tout s’est bien passé à la douane russe, même s’ils se sont un peu trop éternisés sur mon passeport, ce qui a eu le don de faire monter la tension. La jeune fille et moi sommes retournés ensuite dans une autre cabine qui s’est libérée entre temps. Déjà un peu plus de place ici. Nous avons passé la frontière et nous sommes en Russie… on peut enfin se relâcher !

Frontière russie

La frontière est passée, bienvenue en Russie !

Je suis allongé sur ma couchette, devant mes yeux un coucher de soleil sibérien d’un superbe rose saumon.

Il fait déjà moins chaud que tout à l’heure. Toujours cette jeune russe avec moi. On s’approche de la Sibérie. Le wagon est calme.

Sur la table : mon passeport, un sachet de Tucs goût paprika en fin de vie et deux bouteilles d’eau. Dans mes oreilles : The Great Gig in the Sky de Pink Floyd (Dark Side Of The Moon).


Première bataille avec les moustiques russes

Le train ralentit, je vois défiler des wagons de marchandise… On s’arrête. Ma compagne de compartiment m’annonce 30 minutes d’arrêt. Je vais prendre l’air. Tous les passagers sont dehors, il fait plus frais. Invasion de moustiques. Tout le monde tape dans le vide, se gratte, se frappe hasardeusement les jambes et les bras. Pour les moustiques, un festin magnifique de centaines de russes gavés de sucre. La scène est comique en fait. Je remonte, il n’y a pas une zone de mes jambes qui ne me gratte pas, j’aurais mieux fait de rester dans le four.

russie train

Première interaction avec un sibérien

Un homme russe d’âge mûr entre dans le compartiment et réclame sa place en bas que j’occupe déjà. On s’arrange avec lui et il accepte gentiment de se mettre dans l’un des lits du haut.

Il se déshabille tout en parlant à la jeune fille, il est maintenant torse nu, exhibe fièrement son ventre rond et lisse de russe bien portant, enlève son pantalon, toujours en causant, l’air détaché… je crains le pire… Non, il enfile autre chose et nous épargne des cauchemars. Ces russes ne sont pas très pudiques.

Il commente tout ce qu’il fait. Il semble parler de Novossibirsk tout en faisant son lit. Il vient d’apprendre que je suis français, il ne le croit pas, je lui montre mon passeport et il le dévore comme un polar. Il parle maintenant de l’Altaï. Elle lui raconte mon voyage, il est tellement fasciné qu’il descend de son lit pour en savoir plus.

Maintenant que la glace est brisée il s’assied, toujours en sous vêtements, sur la couchette de ma voisine de 30 ans sa cadette pour nous raconter l’histoire de sa ville en regardant par la fenêtre par laquelle nous distinguons des cheminées d’usines et des bâtiments en ruine.

Voici l’histoire merveilleuse de sa bourgade : toutes les usines ont été détruites ou sont à l’abandon, des usines de tracteurs. Et cinq prisons ont été construites depuis pour y mettre les chômeurs devenus délinquants. Il a l’air triste et résigné. Je demande en anglais à la fille si ça ne la gêne pas que cet homme à moitié nu soit assis sur son lit, mais ça ne semble pas la déranger. Je pense que si cette scène s’était passée en France il y aurait eu un vrai malaise. Ici ça va, personne ne semble trouver ça ambigu.

Il finit par remonter. La lumière est éteinte. Dehors, les étoiles sont les seules sources de lumière que je distingue. La terre est noire, sans âme qui vive à l’horizon.

Je m’allonge et me laisse bercer par les mouvements saccadés du wagon, le bruit du choc du métal sur le métal a bizarrement des propriétés berçantes chez moi. Mes yeux se ferment. J’en ai assez vu pour aujourd’hui, il est temps pour moi de dormir.

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