113. Affronter le déluge à vélo (Opole / POLOGNE)
Réhydraté, mais à la merci d’un violent mal de crâne que je ne m’explique pas, je quitte l’agglomération de Cracovie, faisant cap vers l’ouest. Objectif du jour : Katowice, puis Opole le lendemain. Avance rapide pour Opole avec un déluge à vélo en guise de dessert…
Un vent latéral violent
La route pour Opole restera mémorablement le jour où les éléments auront pris le parti de se déchaîner sur ma petite personne.
Pendant les deux tiers de ma journée un vent latéral a soufflé par rafales particulièrement violentes. “Ça n’a l’air de rien un vent latéral”, me direz-vous, “Au moins, c’est pas en face” ! Détrompez-vous, ça déstabilise et ralentit considérablement le vélo, le plus drôle est quand il y a le duo “vent + camion qui double”, alors là on ne sait plus ce qui se passe, on ne sait plus où on est, on est ballotté à gauche puis à droite, puis poussé en avant… perdez-vous quelques secondes dans les rouleaux d’une vague de deux mètres de haut, c’est la même chose. Il faut tenir le cap du mieux que l’on peut, retenir sa respiration et attendre patiemment.
La douche à vélo : c’est froid, mais pratique !
Mais cette brise un peu trop caressante, constatant que je pliais, mais ne rompais pas, décida de faire appel à un allié redoutable, le déluge. Elle souffla sur des masses sombres soulagiennes que j’aurais appelé nuages si cette vision de l’enfer n’avait pas altéré ma perception du réel. Le souffle d’Eole orienta vers moi une pluie de tous les diables, une douche comme j’en avais rarement pris, une douche d’une autre dimension, une douche de l’au-delà. Un purgatoire que j’ai vécu comme un sacerdoce. Vu de l’intérieur sur mon vélo, le déluge ça donnait ça :
Le déluge à vélo, vu de l’intérieur
Opole est en approche, plus que 15 kilomètres à pédaler. Ça sent la fin. Le ciel s’obscurcit dangereusement. Je pénètre dans une forêt obscure qui, combinée à la noirceur des nuages qui me surplombent, donnent une impression de crépuscule… il n’est que 14h.
Comme je le redoutais, il commence à pleuvoir doucement. Maintenant de plus en plus fort. On dirait qu’il fait nuit. Le ciel me tombe dessus. Ma respiration se noie dans l’humidité de l’air. Je suis trempé de la tête aux pieds. Le déluge est tellement intense que je ne peux même plus distinguer la route à 50 mètres. Je n’arrive plus à ouvrir mes yeux… j’ai toujours eu du mal à ouvrir les yeux sous l’eau.
Je continue à avancer à l’aveugle. L’eau s’accumule sur le sol, je ne vois pas où je roule, tout est submergé. Je pédale parfois les pieds dans l’eau. Je ne me pose pas de questions et j’avance dans cette nuit diluvienne. L’eau qui ruisselle sur tout mon corps est glacée. Pour ne pas attraper froid, je pédale plus fort et je chante… ou plutôt je crie de toutes les forces de mes cordes vocales des chansons attrapées au hasard d’une mélodie ou d’un refrain entraînant. Ça ne ressemble à rien, mais ça réchauffe.
Les routiers et automobilistes me regardent abasourdis, se demandant qui est cet original qui a l’air de prendre du plaisir dans cette géhenne liquide. Bizarrement, et ça n’est pas la première fois que je le remarque, plus les éléments sont déchaînés et hostiles, plus je me sens vivant. Je jouis de la valeur de chaque seconde de cette existence qui m’a été offerte en cadeau par une transcendance dont je sens me rapprocher de jour en jour. Transcendance ou immanence ? Qu’importe, je me sens de plus en plus à ma place auprès d’Elle.
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