107. Un hôtel miteux de toute beauté (UKRAINE)
Dans le cyclotourisme, il n’y a pas que le bivouac, Couchsurfing ou Warmshowers pour passer la nuit. On a aussi le droit de se laisser aller et de s’improviser une halte dans un hôtel qui jalonne la route. Pour le meilleur et pour le pire. Récit d’une nuit dans un hôtel ukrainien miteux qui me laissera paradoxalement un bon souvenir !
Un hôtel bien miteux pour se reposer après une dure journée
Un départ aux aurores et déjà 50 kilomètres avalés au milieu de la matinée ! Je ralentis un peu la cadence, d’autant que certaines douleurs articulaires commencent à se manifester. Les fantômes de mes genoux agonisants en février sur les routes enneigées viennent encore hanter ma route.
96 kilomètres de sueur… mission accomplie pour aujourd’hui. J’aperçois une sorte d’hôtel sans prétention posé sur le bord de la route. « Sans prétentions » est un généreux euphémisme, car dans la réalité c’est un lieu crasseux et vilain où tout semble à moitié à l’abandon… Je n’imaginais pas croiser encore des hôtels comme ça en Europe.
C’est vieillot et sale, mais pas encore vintage
Cette auberge moyenâgeuse est le paradis des mouches à défaut d’être celui des humains. Volant en essaim, provoquant un bourdonnement permanent, les mouches jugent approprié de se promener et même copuler sur mon corps, à en devenir vexant. Tellement omniprésentes qu’on en vient à oublier l’aspect repoussant des lieux.
La salle à manger se pare d’un style vieillot pas encore assez ancien pour que ça soit vintage, c’est juste affreux. Une plante totalement dégarnie fait office de verdure, et en guise de tableau l’on peut admirer une sorte de bas-relief en cuivre du plus bel effet représentant un homme le pied posé sur un tonneau de bière, un fusil dans une main et une chope de bière dans l’autre. Les rubans attrape-mouche astucieusement disposés au-dessus des tables de la salle à manger mettent tout de suite en appétit… tiens, une mouche est tombée dans ma bière. La moitié des lampes fonctionne, permettant habilement de créer une pénombre pudique qui dissimule la crasse inquiétante des lieux.
Chaleur étouffante et cauchemar aux sanitaires
Passons aux autres pièces qui valent aussi le coup de s’y attarder. En découvrant ma chambre je comprends déjà que la nuit ne va peut être pas être très agréable. Il y fait une chaleur terrible, aucune fenêtre, les ressorts du matelas ne passent tellement pas inaperçus que leurs cris stridents sont proportionnels à la douleur qu’ils infligent. La nuit va être longue.
Les toilettes du rez-de-chaussée doivent curieusement rester verrouillées en permanence, peut être pour les réserver aux clients du restaurant. Rare privilège. Aussi, lorsque j’ai demandé timidement à la patronne la direction des toilettes, elle m’a donné une pièce de monnaie… Oui, pour ouvrir le verrou de l’extérieur. J’ai prié pour que les toilettes ne soient pas occupées par un camionneur ukrainien un peu trop pudique et sensible… Vide, ouf !
Restons dans les sanitaires pour la suite du musée des horreurs. La douche est une pièce commune, et ça se remarque. Je ne crois pas que la patronne y fasse le ménage régulièrement… sans doute jamais en fait. En prenant ma douche, j’ai presque eu peur d’en ressortir plus sale qu’en y entrant, d’autant plus que la pression de l’eau (froide bien entendu) était très faiblarde, voire absolument inexistante par alternance. Le débit d’eau a eu par exemple la brillante idée de se couper au moment crucial où mon corps était intégralement savonné et badigeonné de mousse (un grand classique). Je n’ai pas paniqué, j’ai un peu pesté tout de même pour la forme, mais avec un peu de patience, (une petite minute) l’eau est revenue comme une fleur. Une minute d’attente qui m’a semblé être une éternité !
Pour ne rien gâcher à l’expérience, au moment de sortir de la douche, j’ai eu la mauvaise idée de regarder si les toilettes de cet hôtel miteux étaient propre… Eh bien non seulement elles ne l’étaient évidemment pas, mais il semblait que mon prédécesseur ait oublié de tirer la chasse après avoir laissé un joli souvenir. Si les clients aussi s’y mettent ! A vue de nez, il s’agissait de l’ouvrage d’un sujet mâle de fort beau gabarit dans la force de l’âge. Hygiène de vie peu saine, mais santé robuste.
La « scène du diner » avec la patronne de l’hôtel miteux
Sans transition, j’ai faim.
Je retourne donc au restaurant de l’auberge, mais le menu du soir ne me convient pas. Je prends alors l’initiative d’apporter à la patronne mon propre manger pour qu’elle le prépare en cuisine. Pourtant, je n’ai jamais fait ça dans un restaurant, mais comme ils semblent assez souples avec les règles dans cet établissement, je me suis dit que ça pourrait passer.
Eh bien oui ! La patronne au début ne comprends pas le concept, puis valide finalement le projet et emporte en cuisine mon futur dîner. La situation un peu décalée la fait sourire, j’ai enfin réussi à briser la glace, victorieux je jubile.
Elle prépare donc mes pâtes, amusée, et vient même à ma table avec un spaghetti au bout d’une fourchette qu’elle m’enfourne elle-même dans la bouche pour que je puisse évaluer la cuisson… en effet, la glace est bel et bien brisée.
Le patron commence à me regarder de travers.
Elle y ajoute ma boîte de thon et ma crème fraîche, j’ai mon dîner. Toute cette scène a eu le don de beaucoup la faire rire, son mari moins. J’apprécie tout de même mon demi-triomphe : faire rire les habitants de ces glaciales contrées dans un contexte non alcoolisé tient du prodige. Hôtel miteux ne doit pas forcément rimer avec mauvais souvenir.
Lire aussi le récit original : Moscou – Paris – Carnet de voyage (globecycleur.com)
>>> ETAPE SUIVANTE : 108. Gérer la lassitude à vélo (UKRAINE)
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