65. Vent et vélo (Bakou / AZERBAÏDJAN)
Après un dĂ©luge et un vent violent toute la nuit, la pluie s’arrĂŞte au petit matin… Pas le vent. Un vent parfaitement orientĂ© pour ĂŞtre bien en face de mon petit vĂ©lo qu’elle que soit la portion de route que je vais emprunter dans mon itinĂ©raire jusqu’Ă Bakou.
Faire le bon choix
Je rĂ©flĂ©chis beaucoup dans la matinĂ©e, encore postĂ© dans ce petit restaurant et je dĂ©cide de ne pas m’élancer immĂ©diatement sur la route et d’essayer de me trouver un camion qui va Ă Bakou.
J’ai un peu honte, mais la perspective de lutter contre les Ă©lĂ©ments pour faire du 10 km/h de moyenne en pleurant pendant 8 h ne m’enchante pas particulièrement.
Les gĂ©rants du restaurant de route auprès duquel j’ai posĂ© ma tente m’encouragent dans ce choix, expliquant qu’Ă l’heure du dĂ©jeuner il y a beaucoup de routiers qui s’arrĂŞtent pour le repas et que j’y trouverais forcĂ©ment un vĂ©hicule. J’ai fait l’erreur de leur faire confiance.
Attendre ou partir affronter le vent ?
J’ai attendu dans un stress infini que des camions veuillent bien s’arrĂŞter jusqu’Ă 13h30 ou 14h. Chaque minute de plus qui passait Ă©tait une angoisse de plus, une frustration supplĂ©mentaire. On se dit que l’on attend franchement pour rien, qu’on aurait mieux fait de partir tĂ´t. On se voit dĂ©jĂ rester la journĂ©e Ă attendre, peut ĂŞtre mĂŞme passer la nuit ici.
Non, je ne peux pas m’y rĂ©soudre ! Tant pis, j’ai perdu toute la matinĂ©e mais si j’attends plus je ne partirai jamais. Et c’est bien plus supportable de souffrir en Ă©tant actif et maĂ®tre de son destin que de souffrir passivement en s’abandonnant Ă la providence.
Choisir de pédaler sous la tempête
Je pars donc sur ce chemin de l’impossible, et croise au bout de 500 mètres un autre restaurant plus gros jouxté d’un camion qui me tend les bras. Un havre d’espoir jalonne ma route.
Je dois tenter le coup, je demande au patron de m’aider Ă trouver un vĂ©hicule, il accepte mais me propose de m’asseoir Ă sa table en attendant. Il m’offre Ă manger et me donne de la Vodka pour accompagner tout ça. C’est adorable mais dans cet instant, le verre de vodka est bien loin d’ĂŞtre ma première prĂ©occupation ! J’attends ici 30 minutes, 30 minutes perdues.
Comme je le craignais, le patron était juste content d’avoir un visiteur un peu inhabituel et comme le font souvent les gens de ces pays, il cherchait à me garder tant que possible et apprécier ma présence. Il est vrai qu’en général, ce genre de comportement me touche et m’inspire des témoignages émus baignés de nostalgie larmoyante, mais là non, vraiment pas ! Le temps passe, et libère le vent et le stress dans une tragique chevauchée qui me plonge plus que jamais dans le doute. Je repars sur la route à nouveau bredouille et j’affronte ce vent infernal.
Combat de titan contre le vent
Cette route sera l’un des pires moments que je vais subir depuis cet hiver purificateur de mes premières semaines en Europe.
Le vent souffle de toutes ses forces parfaitement dans mon axe Ă tel point que mon vĂ©lo a du mal Ă garder des trajectoires droites. Je suis très rĂ©gulièrement dĂ©portĂ© Ă gauche ou Ă droite. La route Ă©tant d’une qualitĂ© lamentable, et les camions me dĂ©passant sans prendre la peine de faire un Ă©cart pour m’Ă©viter, la solution la plus efficace pour eux est de claironner très fort cinq secondes avant un Ă©ventuel impact.
Ă€ chaque avertissement sonore, je me dĂ©cale par rĂ©flexe sur le bord de la route, piĂ©tinant de mes pauvres pneus les cailloux, la boue et la terre afin d’éviter ce monstre arrivant sur moi Ă pleine vitesse. Ajoutez Ă cela les passants qui me parlent, me font des grands signes incomprĂ©hensibles, ou me demandent de m’arrĂŞter pour prendre des photos sans se soucier de la souffrance et l’épuisement dont mes yeux doivent ĂŞtre injectĂ©s, cette route est un vrai chemin de croix. Et j’ai portĂ© ma croix longtemps.
Tenir psychologiquement
Mon Ă©tat psychologique oscille en permanence entre la frustration du temps perdu, la tension ultime due aux conditions de route et l’espoir de trouver tout de mĂŞme une bonne âme pour m’emmener Ă bon port et m’Ă©viter une journĂ©e entière de martyr.
L’espĂ©rance renaĂ®t quand j’aperçois une station-service, meilleur terrain possible pour trouver un vĂ©hicule, en thĂ©orie… mais après 25 minutes d’attente stĂ©rile je retourne en enfer, conscient d’avoir encore perdu inutilement du temps prĂ©cieux.
Je continue ma route en commençant Ă accepter que je ne dĂ©passerai pas 30 kilomètres dans la journĂ©e et croise un cafĂ© dans lequel le patron me fait signe de m’arrĂŞter pour un thĂ©.
Se résigner et rendre les armes
Après tout pourquoi pas, j’avais besoin d’un petit peu de rĂ©confort psychologique. Je leur demande au passage quand est la prochaine station service, en me prĂ©parant dĂ©jĂ psychologiquement Ă camper par lĂ . On m’annonce quatre kilomètres, c’est plus qu’accessible !
J’arrive Ă la station, leur explique toujours au cas oĂą que je suis Ă la recherche d’un camion pour me rapprocher de Bakou et me faire Ă©viter ces conditions insupportables, et je commence dans le mĂŞme temps Ă rĂ©flĂ©chir Ă l’emplacement de mon lieu de camps.
Soudain, un habituĂ© s’arrĂŞte et vient me parler après s’être entretenu avec les employĂ©s de la station. Je finis par comprendre après de longs ergotages qu’il s’agit d’un taxi non officiel, et qu’il me propose de m’emmener avec le vĂ©lo Ă Bakou pour 80 Manats (40€). Après de dures nĂ©gociations avec le chauffeur et les pompistes (qui semblaient ĂŞtre de mèche avec lui), j’arrive Ă baisser le prix Ă 40 manats. RĂ©signĂ©, et surtout sĂ©duit Ă l’idĂ©e de passer dĂ©jĂ la soirĂ©e Ă Bakou, j’accepte le marchĂ©.
J’ai vendu mon honneur, mais le calvaire est fini. Je vais pouvoir souffler et préparer tranquillement mon trajet sur le ferry.
Pour approfondir le problème du vent Ă vĂ©lo, vous trouverez sur ce premier article une analyse dĂ©taillĂ©e des effets du vent sur le vĂ©lo, et sur celui-ci, des petites techniques pour l’oublier !
Pour pousser le sujet encore plus loin, ne ratez pas cet article !
>>> ETAPE SUIVANTE : 66. Attendre le ferry sur le port d’Alat (AZERBAÏDJAN)
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