86. Montrez-moi la carte ! (Djalalabad / KIRGHIZISTAN)

J’avance bien au Kirghizistan, pas besoin de carte. Djalalabad et Och sont derrière moi. J’évolue sur une route de plus en plus montagneuse, mais c’est tout droit !

carte kirghizistan

Une journée difficile

La chaleur ambiante combinĂ©e Ă  l’effort croissant rend la route difficile sans ĂŞtre insurmontable. 

lac kirghizistan

La journĂ©e s’articule donc de cette manière : supporter la chaleur, chercher de l’ombre, rouler, trouver de l’eau, avancer, boire, pĂ©daler, regarder la carte, boire Ă  nouveau, tenter de dĂ©placer la douleur inhĂ©rente Ă  la selle, pĂ©daler, ne pas se plaindre, changer la musique, ne pas s’arrĂŞter de pĂ©daler tant que les jambes tiennent, manger, boire, acheter un melon sur la route, rĂ©pondre aux saluts des enfants, ralentir la cadence, se reposer parfois…

Se reposer… Une initiative encouragĂ©e par mon estomac dont le niveau sonore frise l’indĂ©cence. 

Je cède Ă  la pression. 

Au Kirghizistan, il vaut mieux voir la carte du restaurant

Mes yeux scrutent le cĂ´tĂ© droit de la route, en quĂŞte du lieu de halte parfait… un restaurant attire mon attention, la terrasse a l’air agrĂ©able et pittoresque. Je demande au patron ce qu’il sert, il me montre une photo de poisson.

Je lui demande le prix, il tente sans vergogne un tarif exorbitant bien loin des standards du Kirghizistan et non affiché sur la carte.

Furieux, je rebrousse chemin non sans avoir bien pris soin de lui éclabousser ma contrariété au visage en surjouant mes émotions.

Oui, lorsque les mots ne fonctionnent pas, on en rajoute sur le langage du corps et on se surprend Ă  ressembler Ă  un acteur du cinĂ©ma muet, tout en gestes et en exagĂ©rations. Et tel Charlie Chaplin, retournant vers mon vĂ©lo d’un pas un peu trop nerveux, je tombe Ă  moitiĂ© dans un trou d’Ă©gout. J’en ressors encore plus enragĂ©, humiliĂ©, les pieds trempĂ©s, puants, et les tibias Ă©corchĂ©s, pestant dans le vide ou Ă  qui voulait bien entendre mes complaintes pathĂ©tiques… dont tout le monde se contrefiche, surtout ici. 

restaurant kirghizistan

Tenter un deuxième restaurant

Je remonte sur mon vélo et quelques dizaines de mètres plus tard m’installe sur une table en terrasse d’un autre restaurant du bord de la route.

Celui-ci semble parfait : clientèle variée, serveuse agréable et sympathique, prix dérisoires.

Je commande un repas de prince et dĂ©bute ma ripaille, quand un homme m’aborde et me tend une bouteille d’eau en me disant qu’il me l’offre. Il continue ensuite Ă  m’exposer en russe des trucs que je dĂ©chiffre difficilement, puis je rĂ©alise enfin la situation.

Ce parfait inconnu n’est pas en train de me raconter sa vie il est en train de m’expliquer qu’en plus de cette bouteille, il a dĂ©jĂ  rĂ©glĂ© mon dĂ©jeuner, cadeau ! Je refuse mollement pour la forme sachant que le “mal” est dĂ©jĂ  fait, puis le remercie chaleureusement. 

accueil Asie centrale
Mon bienfaiteur

Générosité gratuite

Je viens de prendre en pleine poire un exemple éclaboussant de générosité humaine, de don totalement gratuit et désintéressé. Cet homme d’une quarantaine d’années dont je ne connais même pas le nom m’a vu et a reconnu en moi l’étranger, le voyageur, le vagabond peut être… il m’a parlé l’espace d’une petite minute avec un regard d’une rare douceur et est reparti sur sa route aussi furtivement qu’il est apparu, sans rien n’attendre en retour, pas même un regard reconnaissant, emportant avec lui le bonheur simple d’avoir ensoleillé la journée d’un humain de passage.

Il est juste parti comme ça sans me laisser sa carte, c’est comme ça au Kirghizistan.

Ça m’a redonnĂ© de la force mentale pour le reste de la journĂ©e. L’amour est une force, une Ă©nergie qui se partage, et cet homme m’a donnĂ© de l’amour pur, un diamant brut Ă  emporter avec soi pour la vie.

La richesse de ce don est inestimable, il suffit d’en avoir conscience et d’en faire bon usage. Je ne compte plus les témoignages de bonté que j’ai reçu sur ma route !

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