87. Au cœur des montagnes russes (KIRGHIZISTAN)

Tout est dur et pĂ©nible. Psychologiquement autant que gĂ©ographiquement, c’est les montagnes russes ! Je sens que le point de saturation s’approche dĂ©jĂ . Physiquement et mentalement je me sens Ă©puisĂ©.

Quelque chose de mauvais va arriver et je le sens. RĂ©cit d’une journĂ©e au cĹ“ur des vallĂ©es kirghizes.

montagne kirghizistan

PĂ©daler dans les montagnes kirghizes

Je me sens usé.

La montagne a beau devenir de plus en plus belle, et un cours d’eau d’un surprenant bleu turquoise s’obstine bien Ă  tapisser et sublimer ma route, je suis tout de mĂŞme usĂ©.

UsĂ© par ces cĂ´tes sans fin et ces montagnes russes, usĂ© par ce vent dĂ©favorable qui ne me lâche plus, usĂ© par la chaleur, usĂ© par l’angoisse du manque d’eau, usĂ© par la solitude, usĂ© par les gens des montagnes qui ne peuvent s’empĂŞcher de me parler en russe pendant de trop longues minutes, usĂ© par ces douleurs causĂ©es par ma selle qui deviennent extrĂŞmes et m’empĂŞchent mĂŞme de m’asseoir sur un fauteuil moelleux… Et usĂ© d’ĂŞtre loin des gens que j’aime. (on dirait une chanson de Damien Saez).

montagne cĂ´te

Mais c’est le jeu et je dois continuer Ă  avancer. C’est souvent quand je ne l’attends pas que ce voyage me dĂ©livre ses plus grands cadeaux. Je ne dois jamais l’oublier.

La star du déjeuner

Cette journée de souffrances m’aura tout de même offert son lot de fortune:

Un moment court, mais d’une intensité rare qui me donnera l’énergie qui me manquait pour continuer.

En traversant un village, je passe devant un petit restaurant familial. La pause déjeuner se précise, je l’aurais bien méritée. Je remarque vite que je suis le seul client et que je suis presque en train de perturber la journée paisible de cette grande famille composée d’une bonne demi-douzaine de fillettes de 3 à 14 ans.

Certaines, moins timides que les autres m’accompagnent à ma table et me montrent les photos de ce que je peux manger, puis peu à peu, les autres, mises en confiance par leurs sœurs, sortent de leur cachette et viennent assister au repas du fauve.

Mon festin n’est pas seulement un moment de repos pour moi, il est avant tout un spectacle vivant passionnant pour ces enfants.

Mettons-nous Ă  leur place :  elles voient dĂ©barquer un homme occidental (comme Ă  la tĂ©lĂ©vision) sur un vĂ©lo chargĂ© comme une mule, le visage rougi par l’effort, trempĂ© de sueur et Ă©manant Ă©videmment une odeur Ă  la fois virile et sensuelle (les français sentent bon, c’est dans leur ADN).

De ma perspective à moi, ça donne le tableau suivant : pendant que je dévore ma cuisse de poulet avec la grâce d’un guerrier viking, laissant à ma barbe le soin de collecter un maximum de morceaux pour prévenir les moments de disette, les petites filles sont postées devant moi, de l’autre côté de la table individuelle et m’observent.

Je vois encore ces yeux innombrables fixés sur moi, chaque paire étant postée à une hauteur différente, osant à peine cligner des paupières pour ne rien rater du rare spectacle qui s’offre à leur regard. Elles sont toutes à moins d’un mètre de moi, immobiles et concentrées.

Plus amusé qu’intimidé par cette singulière situation, j’en ai retiré beaucoup de force, et j’en aurai besoin.

DĂ©cidĂ©ment, les dĂ©jeuners au Kirghizistan m’offrent toujours leur lot de surprises.

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Le charme viril des tunnels

Au cœur de ces « montagnes russes », il a eu quelques oasis de plat et de fraîcheur : Les tunnels.

Des tunnels qui me font dĂ©jĂ  regretter d’avoir choisi le terme « oasis ». Ces galeries n’Ă©taient d’ailleurs pas extrĂŞmement longues, le problème rĂ©sidait ailleurs.

Dans ces grands trous creusĂ©s Ă  mĂŞme la roche, le noir est complet et absolu. Ma modeste lampe de vĂ©lo ne servant qu’Ă  avertir les autres vĂ©hicules de ma prĂ©sence, ce n’est pas avec cette lumière que je pouvais Ă©clairer quoi que ce soit.

Elle me permettait tout de mĂŞme de voir grossièrement la direction que prenait le mur, et donc la route, mais il Ă©tait particulièrement angoissant de rouler Ă  l’aveugle sans savoir s’il allait y avoir sous mes roues un nid de poules ou une grosse pierre.

Et pour couronner le tout, un sympathique chauffeur de poids lourd a trouvĂ© dĂ©sopilant de klaxonner avec insistance en passant juste Ă  cĂ´tĂ© de moi dans l’un de ces obscurs tunnels. Je vous laisse imaginer le bruit d’une corne de brume de camion alliĂ©e Ă  l’acoustique d’un tunnel fonctionnant comme un amplificateur bien trop efficace.

Le mariage des deux donne naissance Ă  un bruit d’une telle violence qu’on en ressent les vibrations dans tout le corps. J’ai hurlĂ© de toutes mes forces pour lui faire comprendre ma colère, il a rĂ©agi en klaxonnant de plus belle, je lui ai rĂ©pondu d’un magnifique double doigt d’honneur que, j’espère de tout mon cĹ“ur, il a pu distinguer dans son rĂ©troviseur.

Je me suis fait un ami pour la vie.

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