50. Un couchsurfing particulier (Yazd/ IRAN)
Toujours avec Mathieu, mon compère suisse. Nous avons quitté Ispahan et sommes maintenant à Yazd. Premier constat : Les personnes qui nous aident dans ces villes touristiques d’Iran le font très souvent pour des raisons purement pécuniaires et intéressées. Ce qui a le don de nous agacer au plus haut point et de ne pas arriver à être complètement à l’aise et relâchés avec ces gens. Comment peuvent-ils devenir nos amis quand il y a un intérêt pour eux, un business ? Notre “ami de couchsurfing » à Yazd en Iran en faisait partie, et nous allons ensemble essayer de discerner les signes et indices qui trahissent ses véritables motivations.
Un homme qui ne met pas à l’aise
Hedayat vit avec sa famille dans la périphérie de Yazd, il a une bonne trentaine d’années, c’est un garçon avenant, souriant et arborant un rire exagérément bruyant, à la limite du gênant. D’expérience, j’ai tendance à penser qu’une personne qui est “trop” quelque chose est forcément “pas assez” quelque chose d’autre. Il y a toujours un équilibre qui s’opère, une justice naturelle. Par conséquent, son rire un peu trop surjoué m’a immédiatement envoyé ce message : “Cet homme n’est pas à l’aise. Pourquoi ? Quel est ce besoin de vouloir montrer à tout prix qu’il est cool et de bonne humeur ? Que cache-t-il ?”
Que cache-t-il ?
Pour commencer, nous sommes restés à l’écart de la maison familiale, dans sa petite maison à lui de l’autre côté de la cour. Bizarrement et contrairement à toutes les autres personnes que j’ai côtoyées en Iran, il nous a cachés à sa famille. De quoi avait-il honte ? De sa famille ? De nous ?
Une visite de Yazd trop bien ficelée
Il nous a ensuite emmené faire un tour de la vieille ville à vélo qui a été très agréable, mais je commençais à comprendre qu’il avait tout un programme très bien ficelé.
Lors de la promenade à vélo il avait son itinéraire précis et si nous avions le malheur de traîner un peu trop pour prendre des photos ou si nous manifestions le souhait d’explorer d’autres ruelles, il s’agaçait et nous demandais de hâter le pas car nous allions être en retard pour un spectacle traditionnel qui tenait absolument à nous montrer. Entre temps, il nous a fait visiter une superbe mosquée payante en ne manquant pas de nous faire signer un registre à l’entrée dans lequel nous devions inscrire le nom d’un hôtel qu’il m’a lui-même soufflé à l’oreille.
Les premiers doutes s’installent
C’est à ce moment là que j’ai commencé à avoir des doutes. J’ai immédiatement pensé : “Ah d’accord, il leur amène des clients et se fait sa petite commission sur les tickets d’entrée !”. Je n’ai pas manqué de communiquer mes premières suspicions à Mathieu qui a peu apprécié la nouvelle. Après la mosquée il fallait, sous l’impulsion de notre guide, hâter le pas pour ne rien rater de cet “immanquable” spectacle vivant. Nous payons, puis entrons. Mais à notre surprise, alors que l’on s’attendait à voir un spectacle traditionnel un peu intime et local, on se retrouve au beau milieu d’une grande salle circulaire envahie de touristes ! Mathieu, agacé, sort avant la fin, et nous finissons par le suivre. Il avait raison, ça n’était même pas si intéressant.
Quand les doutes se transforment en haine
À ce moment-là Mathieu et moi commençons à être très sceptiques quant aux intentions de notre hôte, dont la cote dégringolait à vue d’œil. Je dois reconnaître, à sa décharge, que si j’avais été tout seul j’aurais ravalé mes suspicions et je me serais efforcé de voir le positif chez Hedayat. Seulement je n’étais pas seul, et le groupe a cette particularité dangereuse d’autoalimenter les haines, de décharger les tensions l’un sur l’autre, le résultat est redoutable. La haine individuelle est comme un feu manquant d’oxygène. Il brûle doucement mais longtemps. La haine collective est un feu nourri du souffle de l’autre. Il brûle très vite et très fort. Là nous étions deux et nous soufflions tour à tour sur les braises de l’aversion, au point de ne plus voir que la face négative de cet homme. (Décidément, on commençait à collectionner en Iran les mauvais hôtes en Couchsurfing !)
Un couchsurfing intéressé
Ca se passait comme ça : Hedayat demande à un ami de venir pour réparer le vélo de Mathieu. Ce dernier refuse l’aide et se met véritablement en colère, craignant que ça soit encore un mauvais coup pour nous faire payer et faire son petit business avec son complice. Je calme le jeu sans savoir qui a tort ou raison, et notre hôte nous propose d’aller prendre un jus sur une terrasse pour nous détendre. Nous acceptons et le suivons.
Un gros malaise
Une fois installés à notre table, une femme sur un table voisine commence à s’adresser à Hedayat, puis à nous poser des questions. Cette approche semblait très peu au goût de notre ami, il s’est mis à rire très bruyamment en frappant dans ses mains, comme s’il voulait couvrir la voix de cette femme en faisant le plus de bruit possible. Gros malaise. Au fil des discussions, cette femme nous explique qu’elle est guide touristique et que Hedayat est un concurrent, lui aussi guide. Encore plus gros malaise. Hedayat rigole plus fort que jamais. Les décibels qu’il dégage sont proportionnels à son embarras, et il est bien le seul à ne pas le voir.
Savoir se raisonner
Faire du couchsurfing en Iran n’est jamais sans surprises, bonnes au mauvaises. Nous finissons par lui expliquer que nous allons terminer la promenade seuls. Il rentre alors de son côté. L’occasion pour Mathieu et moi de débriefer la tête froide et faire le point sur cette journée et l’équivocité de notre hôte. Mon compère est plus que sceptique, il veut littéralement partir de chez lui. J’essaye de le raisonner : “On s’est emballé, on est à chaud, on refroidit un peu tout ça et on lui laisse une seconde chance… OK, il est très agaçant et ambigu mais il n’est pas méchant, et finalement on n’a pas passé une si mauvaise soirée, non ?” L’idée était de rentrer chez lui l’esprit positif et ouvert.
Si la haine collective s’auto-encourage, il peut en être de même pour l’amour et la miséricorde. Il suffit de transformer la peur en espérance.
Nous ne le regretterons pas.
P.S : Pour plus d’infos sur le principe du Couchsurfing, voici l’article qu’il vous faut : https://cyclovoyageur.com/duel-couchsurfing-warmshowers/ . Je vous explique aussi pourquoi Couchsurfing est en train de mourir : Le Couchsurfing payant va-t-il survivre au Covid ? – Cyclo Voyageur
>>> ETAPE SUIVANTE : 51. Un rêve vieux de 30 ans (Bafq / IRAN)
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