6. Peur de la nuit (Stuttgart / ALLEMAGNE)
Voyager à vélo, c’est se reconnecter à son corps et aux informations de la nature. Arriver de nuit dans une grande ville comme Stuttgart peut créer de belles angoisses inattendues !
Faire renaitre l’homme des cavernes
Durant ces premières pérégrinations, je me sens comme un enfant à l’âge de pierre qui apprend les bases de la survie, je redécouvre l’essentiel, ce qui fait de moi un être humain et ce qui a guidé des milliards d’hommes avant moi pendant des centaines de milliers d’années. Se mettre en situation de survie, c’est redécouvrir de quoi nous sommes composés, c’est comme faire un saut dans un passé très lointain en écoutant simplement les murmures de son corps. Tout est inscrit ici, dans nos gènes, fruits d’une lente évolution : nos peurs, nos choix affectifs, nos sentiments. La part émotionnelle ou reptilienne de notre cerveau est le fruit de la vie quotidienne de nos ancêtres pendant des milliers de générations. Chaque comportement est explicable au travers d’un besoin de survie de nos aïeux. Pourquoi nous aimons tant l’odeur des fleurs ? Ne nous rassurent-elles pas inconsciemment, marquant le retour du printemps, le symbole du renouveau, le retour de l’abondance et de la sécurité ? Pourquoi la musique apporte t-elle tant d’émotions ? Certaines théories avancent que l’homme usait de la musique pour communiquer avant l’arrivée du langage et que les mamans des temps très anciens chantaient des berceuses à leurs bébés pour avoir les mains libres pour faire la cueillette. Pourquoi aime t-on tant le sucre ? A l’époque où survivre était une question de quantités de calories avalées, on cherchait en priorité les fruits les plus sucrés et l’homme arrivait à les renifler de loin grâce à leur taux d’alcool, le fruit fermenté étant plus sucré, voici également une raison de notre appétence naturelle pour le vin. Et pourquoi avons nous, enfant, peur du noir ? Je l’ai rapidement découvert en sentant monter en moi l’angoisse et le stress à mesure que j’avançais sur la route et que la luminosité entamait son infernal déclin. Sans avoir d’endroit prévu pour la nuit, on sent une irrépressible peur monter proportionnellement à la longue descente du soleil. On se sent pris à la gorge par l’obscurité, emprisonné et impuissant. C’est exactement ce qu’il m’est arrivé à Stuttgart.
Trouver un toit à Stuttgart
J’avance donc jusqu’à l’agglomération, traverse les premières banlieues, lance ça et là des demandes d’hébergement. Pas de réponses. Le soleil baisse dangereusement, le ciel s’assombrit. A ce moment là il y a deux choix possibles :
Choix 1 : il faut persévérer, croire en sa bonne étoile et en la générosité des gens.
Choix 2 : il faut s’éloigner au plus vite de l’agglomération et trouver une forêt avant que la nuit tombe.
Trop tard, je choisis la première solution. Je n’ai aucune réponse à mes demandes tardives sur Warmshower (le fameux site d’hébergement pour cyclistes). Un dernier profil apparaît, une certaine Veronica. Ma dernière carte. Elle a mis son numéro de téléphone alors je l’appelle directement. Je prends ma plus belle expression orale, ma voix la plus douce et rassurante. Le contact est bon, elle accepte immédiatement de m’héberger ! Je me sens soulagé comme jamais, libéré de l’étreinte de la nuit. Quel bonheur de retrouver le plaisir d’avoir un toit pour dormir, ces choses tellement basiques mais qui peuvent dans ces situations être une grâce immense, un cadeau du ciel. La peur s’envole, le cœur est plus léger, le corps moins tendu. Tout n’est que relâchement et bien-être !
Quand la peur de la nuit devient un réflexe de survie, même à Stuttgart
Mais il a plus fort dans tout cela, une nouvelle preuve que notre corps et notre tête sont programmés pour s’adapter à toutes les situations. Je suis resté une deuxième nuit pour me reposer après l’éprouvante journée de la veille. J’ai passé presque toute la journée dans la maison à regarder la neige tomber et m’augurer des futures journées compliquées. J’étais à l’abri, bien au chaud dans l’appartement, et pourtant… au moment de la tombée de la nuit, j’ai ressenti un réflexe inattendu, une angoisse incontrôlable monter en moi. Mon esprit s’était déjà adapté à craindre la nuit, et en quelques jours mon éducation d’homme moderne a commencé à se fragiliser pour laisser s’exprimer l’homme des cavernes qui résidait en moi avec ses peurs et son instinct de survie. *
La joie du lever de soleil
La matinée m’a confirmé cette sensation. Au lever du soleil j’ai ressenti comme une joie étrange, mais pas tout à fait celle d’une nouvelle journée qui commence. Il s’agissait plutôt d’un sentiment de satisfaction difficile à discerner qui s’apparenterait plus à la victoire d’avoir survécu une nuit de plus et de prendre à pleine main le cadeau de la journée de bonus que m’offre la vie, la nature, ou cette entité supérieure qu’on appelle Dieu.
C’est étrange mais c’est en nous, notre corps a une mémoire et il y a stocké des millions d’années d’informations et de survie de toutes les espèces qui nous ont précédé.
>>> ETAPE SUIVANTE : 7. Première casse sous la neige (Bad Urach / ALLEMAGNE)
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