Asie Centrale

79. Un bivouac qui « pue » (TADJIKISTAN)

PremiĂšre nuit sur cette route direction la frontiĂšre Kirghize. Je cherche pendant quelques kilomĂštres un lieu de bivouac adĂ©quat, et me trouve un coin Ă  flanc de montagne en amont de la route. L’herbe est verte et plutĂŽt confortable et un petit ruisseau y dĂ©verse une belle eau pure et fraĂźche.

Tout semble trop parfait.

Un bivouac qui s’annonce dĂ©jĂ  mal

À peine ai-je posĂ© mes affaires sur ce lieu de bivouac idĂ©al, que je me trouve importunĂ© par deux jeunes paysans qui promĂšnent leurs Ăąnes.

C’est pas eux, mais je voulais illustrer quand mĂȘme mon propos

L’aĂźnĂ© a entre 20 et 25 ans et le plus jeune n’a pas plus de 15 ans. Ils restent plantĂ©s lĂ , assis devant moi, contemplent mes faits et gestes en se faisant des commentaires en tadjik, et surtout ils me posent beaucoup trop de questions
 Trop de questions du style « elles coĂ»tent combien tes lunettes ? » “et le prix de ton vĂ©lo ? « , » montre-moi ton tĂ©lĂ©phone « , “je veux voir ton appareil photo », ils me demandent des cigarettes, etc.

Et, chose Ă©trange, me sentant de moins en moins Ă  l’aise avec eux, je leur demande si je peux les prendre en photo (ça me rassure dans certaines situations), et bien le plus vieux refuse d’un geste glacial de la main.

Ce moment oĂč ils refusent qu’on les prenne en photo mais insistent pour te prendre toi.

LĂ  je me dis : « OK, alors soit je change de lieu de bivouac, soit je trouve un moyen pour sĂ©curiser mon vĂ©lo et mes affaires car ces garçons lĂ  sont louches ». Ne souhaitant pas dĂ©guerpir sous leurs yeux pour ne pas alerter leur mĂ©fiance, je monte ma tente devant leur regard fureteur, commence Ă  gonfler mon matelas, Ă  disposer mon duvet, prĂ©parer mes affaires pour la soirĂ©e


Changement de lieu de bivouac en urgence !

AprĂšs plusieurs dizaines de minutes, ils lĂšvent le camp et remontent la montagne avec leurs bĂȘtes.

J’attends qu’ils ne soient plus Ă  vue pour dĂ©placer toute ma petite installation 70 mĂštres plus loin dans un coin beaucoup plus discret pour bivouaquer. Je pars ensuite faire une bonne toilette bien mĂ©ritĂ©e dans le ruisseau glacĂ©, en tentant toujours de rester le plus petit possible. Je suis tout de mĂȘme repĂ©rĂ© par deux autres adolescents qui ramassent du bois, mais qui eux ont l’air plus indiscrets que malveillants. 

Un lieu plus discret

(Je crois que le fait de ne pas parler la mĂȘme langue rend beaucoup plus aisĂ©e la distinction entre les bonnes et les mauvaises personnes. Sans mots, on ne se concentre plus que sur le regard et le langage corporel, celui-ci est beaucoup plus honnĂȘte que les mots. Avec le corps, ce n’est plus que l’animal en nous qui s’exprime, il ne peut plus tricher. Nous avons un accĂšs direct aux Ă©motions de l’autre, Ă  condition de savoir l’interprĂ©ter
 et c’est peut-ĂȘtre aussi lĂ  que l’expĂ©rience de la route peut s’avĂ©rer utile. Jusqu’ici, je n’ai jamais Ă©tĂ© trompĂ© par mon jugement.)

La peur contrĂŽle tout

J’enfile mon sac de couchage et j’observe la nuit s’épaissir avec une certaine inquiĂ©tude. Nuit noire. Je garde mon couteau Ă  portĂ©e de main, d’autant que ces jeunes gens m’ont signalĂ© qu’il y avait des bĂȘtes sauvages dans ces montagnes et que je devais faire attention. Un homme averti en vaut deux.

Des pas prĂšs de la tente

Je m’endors, perdu dans la noirceur de cette sinistre nuit. Une rare obscuritĂ© qui plonge toute peur dans les tĂ©nĂšbres. Mes yeux sont aveugles, alors mes oreilles prennent le relai.

Elles me réveillent au beau milieu de la nuit.

J’entends s’approcher des pas, toujours dans cette sauvage obscuritĂ©, des pas trĂšs proches
 ils sont juste lĂ , Ă  cĂŽtĂ© de la tente, lents et tranquilles. J’en suis certain maintenant, il y a une prĂ©sence.

Je suis pétrifié.

Je sens l’adrĂ©naline et le cortisol se relĂącher dans tout mon corps, mon cƓur s’accĂ©lĂšre. Je commence Ă  ressentir un peu partout des fourmillements et des picotements. Je tremble comme une feuille et je suis seul. La lune m’a abandonnĂ© cette nuit, il ne me reste plus que mon sang froid et mon couteau. Je le cherche avec des gestes saccadĂ©s et maladroits, en tentant de rester discret. Je l’agrippe de ma main moite et j’attends que ça me tombe dessus
. Quelque chose, quelqu’un.

Un humain ? Une bĂȘte ?

À qui sont ces pas ? Si c’est un humain, ça ne sent vraiment pas bon, d’autant plus que je n’ai pas vu la moindre lumiùre. Ce serait donc un ou des hommes qui veulent rester discrets.

Si c’est un animal, c’en est un trĂšs gros, et il ne va pas forcĂ©ment attaquer. Je prĂ©fĂšre cette version-lĂ .

Dans le doute j’attends et j’écoute Ă  m’en crever les tympans. Je ne respire mĂȘme plus.

Chaque seconde dure des heures.

Je suis absolument persuadĂ© qu’il va se passer quelque chose, qu’une main va ouvrir la fermeture Ă©clair de ma tente, m’en extirper de force et me faire subir dieu sait quels tourments.

Une minute passe
 plus rien.

Pas un bruit. Il n’y a plus que le silence, les tĂ©nĂšbres et moi.

Se rendormir dans les ténÚbres

Sans allumer la lumiĂšre, j’ouvre doucement le zip de la tente et j’observe timidement les alentours. Rien et pas un bruit. SoulagĂ©, je me recouche trempĂ© de sueur, la main crispĂ©e sur le couteau, au cas oĂč. Il s’agissait sans doute tout simplement d’une grosse bĂȘte, comme on m’en avait averti.

Plus de peur que de mal, heureusement.

La Rasht Valley
 c’est beau mais un peu hostile quand mĂȘme

PS : J’apprendrai plus tard que la Rasht Valley est loin d’ĂȘtre l’endroit de bivouac idĂ©al, ceci pour de nombreuses raisons : Les islamistes, les bĂȘtes sauvages, les caravanes de trafiquants surarmĂ©s venant d’Afghanistan, et les mines (vestiges de la rĂ©cente guerre civile) !

Voilà, voilà


>>> ETAPE SUIVANTE : 80. À la recherche de nourriture (Devona / TADJIKISTAN)

Charles

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