14. Un raccourcit à oublier (AUTRICHE)
Moi qui croyais avoir beaucoup trop usé et abusé des superlatifs au point parfois de leur faire perdre de leur éclat, il va encore me falloir les ressortir de ma besace car cet épisode le mérite amplement.
Après une nuit à Passau en Allemagne, me voilà en Autriche. Je suis le Danube sur de longs kilomètres le long d’une superbe route bordée de collines, chacune ayant son petit château ! J’arrive alors sur un village et constate que mon GPS affiche un comportement inhabituel. Pour la première fois il me demande de ne pas longer le Danube, particulièrement sinueux dans cette zone, pour me faire couper à travers colline. J’hésite longuement, tâte le terrain et observe la route et la côte que je suis sensé prendre, elle semble abordable à première vue bien que la forêt en cache la grande majorité. Je prends ma décision et je m’engage sur ce chemin boueux, trop heureux de gagner quelques kilomètres. C’était une très mauvaise décision. Je vais vite comprendre que le GPS, aujourd’hui, ne sera pas mon ami.
En serais-je vraiment capable ?
Dès les premières dizaines de mètres je comprends que descendre de mon vélo pour le pousser sera beaucoup moins énergivore que de tenter péniblement d’avancer tout en gardant un équilibre fragile sur cette boue glacée infernale. Sur les premières centaines de mètres, la côte se raidit de plus en plus, rendant l’escalade toujours plus sportive, et à mesure que je pénètre dans la forêt je vois apparaître de grandes plaques de glace et de neige durcie que les rayons du soleil n’ont pas pu atteindre. Cette côte est en train de devenir tranquillement la pire de ma vie (pour l’instant) ! Chaque zone verglacée, occupant toute la largeur du chemin, m’invite à la traverser sans aucune alternative possible. Je commence à envisager un demi-jour en comprenant l’ampleur des efforts qu’il va encore me falloir fournir, mais j’ai déjà tant donné pour en arriver là que la simple idée de repartir en arrière me glace le sang. Je me résigne donc, et m’enfonce un peu plus dans ce sable mouvant.
Voici maintenant comment ça se passe. La route est plus raide que jamais, et le chemin est inondé de neige, de glace et de grosses pierres. J’avance tant bien que mal en tentant de pousser mon vélo de 40 kilos sur des zones qui semblent déjà difficiles à escalader à pied ! Encore un passage difficile… j’essaye de tracter mon vélo par la selle, gardant l’autre main pour diriger le guidon. Mes pieds glissent sur la glace, je perds l’équilibre et le vélo tombe en arrière… Je le relève, me repose 20 secondes, respire un bon coup pour reprendre des forces, et je refais une tentative. Le vélo avance lentement. Chaque pas en avant est le théâtre d’un effort inouï à essayer de se stabiliser pour consolider son pas et conserver ces quelques 15 centimètres si précieux. Le sol ne me veut pas, il est si glissant que j’ai l’impression de marcher sur un aimant à polarité inversée, je suis rejeté de partout et constamment attiré vers l’arrière, le vide, le passé, la défaite. Je tente tout, je rassemble toutes mes forces possibles et hurle de colère et d’espoir. J’avance, mais il me faudra 5 minutes pour avancer d’un mètre. Très honnêtement, si j’avais eu une alternative possible, je ne me serais jamais senti capable de traverser cette épreuve et aurait très vite déclaré forfait. Mais là je n’avais aucune issue, j’étais absolument seul dans cette forêt glacée, debout sur cette neige, tentant de garder à bout de bras l’équilibre précaire de ma monture. Je ne peux évidemment pas attendre là indéfiniment qu’un passant ou la mort viennent me libérer des griffes de cette colline. J’avance donc tant bien que mal, je dépasse mes limites et prie pour que la suite du chemin soit plus clémente. Après un interminable effort d’une intensité rare, je finis tout de même par franchir cette épreuve qui me semblait insurmontable. Je comprends alors que même quand la situation semble critique et le défi impossible à relever, le corps humain trouve toujours les réserves nécessaires pour l’atteindre. Les limites physiques sont atteintes quand le mental a perdu.
La récompense à l’arrivée
En haut de la colline, j’atterris dans un village et je ne rêve que d’une chose : retirer toutes ces couches de vêtements qui m’enferment dans une prison de sueur et de vapeur étouffante ! Je prends le premier restaurant venu, m’assieds sur une délicieuse et confortable banquette à côté du radiateur et je commence à ôter un à un mes vêtements. Je découvre alors que malgré ce froid, pas un centimètre carré de mes vêtements n’est sec. Tous mes atours, du t-shirt thermique au manteau sont mouillés ! Je garde ma première couche, fais sécher le reste, et commande à une serveuse charmante et compatissante quelques spécialités locales bien chaudes et bien lourdes pour compenser cette surconsommation de calories. Ce fut l’une des pauses déjeuner les plus délectables de mon périple.
Cette mésaventure m’a fait comprendre définitivement que ce voyage ne sera pas une partie de plaisir, et que chaque jour de route est et sera un combat et un défi physique et psychologique. J’en venais à me demander quand arrivera la lumière. Est-ce qu’à un moment donné je passerai des journées simplement agréables, où le plaisir et l’effort danseront ensemble dans une harmonie retrouvée ?
>>> ETAPE SUIVANTE : 15. Apprendre à mériter les plaisirs (Linz / AUTRICHE)
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