93. Affronter la steppe à vélo (KAZAKHSTAN)
Je me suis levé de très bonne heure pour partir affronter la steppe du Kazakhstan avant les grosses chaleurs.
Paré pour un départ vers le flou total
Et voilà, je suis là, assis sur le canapé de cette incroyable auberge de jeunesse, à l’ombre d’un soleil qui tape déjà trop fort.
Mon vélo est prêt, mon corps est prêt, et je m’apprête à gravir une montagne d’incertitudes. J’ai replanifié le calendrier de mon itinéraire et j’ai calculé qu’il me faudrait au moins 2 mois pour aller de Moscou à Paris en passant par l’Ukraine, l’Albanie et le sud des Balkans. Ce qui m’oblige, pour être tranquille, à être à Novossibirsk dans les 10 jours, grand maximum.
Petit problème, j’ai presque 2000 kilomètres à traverser jusqu’à la capitale sibérienne… Je vais donc faire ce que je peux à vélo et tenter alternativement d’attraper un camion pour me faire avancer de quelques kilomètres. Peut-être même prendre un train en route si l’occasion s’offre à moi.
On verra bien, l’inconnue et le doute risquent bien de m’accompagner sur la route un bon moment. En ce moment même, je ne sais absolument pas où je passerai la soirée ni dans quelles conditions. Mystère complet.
Mais je vais quand même m’enfoncer dans cette steppe désertique sans fin et avancer le plus possible.
Se lancer dans la steppe kazakh
Finies les réflexions, entrons dans l’action. Je fais mes adieux à mes amis de l’auberge, je vérifie la pression de mes pneus, remplis mes réserves d’eau à ras bord et je remonte sur mon vélo.
Quitter l’agglomération d’Almaty
Je débute ma route par une très longue et interminable pente vers le nord, malheureusement en pleine heure de pointe il faut slalomer, avertir, éviter et piler sur au moins 15 kilomètres. C’est dommage quand on est en descente !
Petit à petit la route se désurbanise, et les bâtiments soviétiques rongés par le temps et les assauts du climat laissent peu à peu place à la nature. Les sommets enneigés s’éloignent jusqu’à devenir des ombres blanches perdues derrière une brume de chaleur et de doutes.
Sable, chaleur et fatigue
Oui, la chaleur monte. Pédaler devient pénible et étouffant. Au Kazakhstan, la steppe ne plaisante pas.
La nature verte qui a fait son apparition plus tôt s’incline respectueusement face à l’arrivée du désert. Le sable commence à envahir toute vie. La chaleur est à son comble et la steppe dicte ses lois.
Dans ce cheminement vers l’enfer, je me trouve un rare point d’ombre offert par un obligeant panneau d’indication, et je m’y réfugie pour une petite halte. Je m’assieds à même le sable, je bois et reprends mon souffle. Béa, les yeux fermés, je profite de ce moment de quiétude. Je ne suis plus que relâchement et délectation.
J’ai rencontré le Petit Prince dans la steppe du Kazakhstan
Je rouvre les yeux et remarque un élément nouveau dans mon champ de vision.
Une voiture blanche est garée là sur le bord de la route à 100 mètres de moi, « à mille milles de toute terre habitée » au cœur de l’aridité de cette gigantesque steppe du Kazakhstan.
Un homme sort et se dirige vers moi. Il marche à allure normale, ni trop lentement, ni trop vite. La bonne vitesse pour que je ne m’inquiète pas et sans doute afficher la cordialité de ses intentions.
Une démarche anormalement lente m’aurait sans doute inquiété et mis mal à l’aise, me laissant penser qu’un psychopathe, un malade mental ou un alcoolique se rapproche dangereusement. De la même manière, un pas trop rapide aurait été mal interprétée, c’est la nature qui veut ça. Si vous courez vers un chat ou un chien ou n’importe quel animal, il aura tendance à fuir, instinct de survie oblige… et que sommes-nous sinon des animaux un peu plus intelligents que la moyenne ? Notre instinct demeure intact et l’on s’en aperçoit bien plus clairement lorsqu’on se confronte à des cultures et des langues étrangères, quand les mots sont vains il ne reste plus que le ressenti, l’interprétation des gestes, de la respiration, de la transpiration, des odeurs, du regard. Merci à notre cerveau reptilien d’exister encore !
Bref, cet inconnu a l’intelligence de marcher à l’allure appropriée pour que je me sente à l’aise.
Il s’approche en me regardant dans les yeux, me salue amicalement, se présente et commence à discuter en s’asseyant dans le sable à mes côtés.
Il s’agit simplement d’un jeune homme parmi tant d’autres qui rêve de voyager comme je le fais, mais qui n’en a pas les moyens. Il a l’air si heureux de parler avec moi, de se nourrir un peu de mes expériences, ou simplement d’entendre « l’étranger » parler. Il semble rêver d’altérité, de voyage vers l’autre, vers ce qui est différent. Il semble vouloir, telle une éponge, emprunter tout ce qu’il peut de la richesse de l’autre sans pour autant se détacher de ses racines. Je me suis reconnu en lui, c’était moi il y a quinze ans, c’est comme un miroir dans le temps.
Au moment de clore ce beau moment de fraternité, le jeune homme me demande si j’ai besoin d’argent et me propose de m’en donner… Comment réagir ? Évidemment refuser, mais apprécier le cadeau du cœur. C’est de l’amour pur, encore une fois.
Les joies de ces rencontres du hasard m’avaient tellement manquées !
Pause déjeuner, pause réflexion
Après 85 kilomètres d’un rythme bien soutenu sous un soleil de plomb, je m’arrête dans un restaurant devant un lac* pour y déjeuner et réfléchir à la stratégie à adopter pour la suite de la journée.
Beaucoup de doutes et d’hésitations. Que faire ? S’arrêter ici et trouver un coin tranquille pour dormir ? Non, j’ai le temps et l’énergie pour encore bien avancer.
Faire de l’auto-stop ? Peut-être, je dois accélérer le rythme par tous les moyens possibles.
Continuer à vélo ? Bien sur, mais jusqu’où et pour combien de temps ? Tenter quand même de rejoindre une gare plus loin ? Quelle gare et comment la rejoindre ? Le flou est total, et je n’ai aucune idée de l’endroit où je vais dormir cette nuit (ce doute concernant mon lit du soir restera présent jusqu’à 9h ou 10h ce soir là).
Je réfléchis, mais j’ai faim. Je fais la bêtise de commander le même plat que celui qui m’a rendu malade dans les montagnes kirghizes. Je mange deux, puis trois bouchées et je réalise bien vite que je n’arriverai pas à en avaler plus. Le souvenir de cette intoxication est marqué au fer rouge dans mon corps… j’ai la nausée et plus d’appétit pour quoi que ce soit.
Laissant mon repas de côté, je choisis de concentrer mon énergie sur la suite de ma journée. Je commence donc à me renseigner finement auprès de certains clients du restaurant, mais personne ne peut m’aider à avancer.
Le doute se confirme. Pas de connexion internet non plus pour vérifier les trains.
C’est décidé : je caresse le bord de la route et je tends le pouce en l’air… Et advienne que pourra ! Il est temps de prendre en main son destin !
*Lac qui s’avèrera être un gigantesque réservoir d’eau artificiel de la taille du lac Léman en pleine steppe du Kazakhstan !
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