J’avance bien au Kirghizistan, pas besoin de carte. Djalalabad et Och sont derrière moi. J’évolue sur une route de plus en plus montagneuse, mais c’est tout droit !

Une journée difficile

La chaleur ambiante combinée à l’effort croissant rend la route difficile sans être insurmontable. 

La journée s’articule donc de cette manière : supporter la chaleur, chercher de l’ombre, rouler, trouver de l’eau, avancer, boire, pédaler, regarder la carte, boire à nouveau, tenter de déplacer la douleur inhérente à la selle, pédaler, ne pas se plaindre, changer la musique, ne pas s’arrêter de pédaler tant que les jambes tiennent, manger, boire, acheter un melon sur la route, répondre aux saluts des enfants, ralentir la cadence, se reposer parfois…

Se reposer… Une initiative encouragée par mon estomac dont le niveau sonore frise l’indécence. 

Je cède à la pression. 

Au Kirghizistan, il vaut mieux voir la carte du restaurant

Mes yeux scrutent le côté droit de la route, en quête du lieu de halte parfait… un restaurant attire mon attention, la terrasse a l’air agréable et pittoresque. Je demande au patron ce qu’il sert, il me montre une photo de poisson.

Je lui demande le prix, il tente sans vergogne un tarif exorbitant bien loin des standards du Kirghizistan et non affiché sur la carte.

Furieux, je rebrousse chemin non sans avoir bien pris soin de lui éclabousser ma contrariété au visage en surjouant mes émotions.

Oui, lorsque les mots ne fonctionnent pas, on en rajoute sur le langage du corps et on se surprend à ressembler à un acteur du cinéma muet, tout en gestes et en exagérations. Et tel Charlie Chaplin, retournant vers mon vélo d’un pas un peu trop nerveux, je tombe à moitié dans un trou d’égout. J’en ressors encore plus enragé, humilié, les pieds trempés, puants, et les tibias écorchés, pestant dans le vide ou à qui voulait bien entendre mes complaintes pathétiques… dont tout le monde se contrefiche, surtout ici. 

Tenter un deuxième restaurant

Je remonte sur mon vélo et quelques dizaines de mètres plus tard m’installe sur une table en terrasse d’un autre restaurant du bord de la route.

Celui-ci semble parfait : clientèle variée, serveuse agréable et sympathique, prix dérisoires.

Je commande un repas de prince et débute ma ripaille, quand un homme m’aborde et me tend une bouteille d’eau en me disant qu’il me l’offre. Il continue ensuite à m’exposer en russe des trucs que je déchiffre difficilement, puis je réalise enfin la situation.

Ce parfait inconnu n’est pas en train de me raconter sa vie il est en train de m’expliquer qu’en plus de cette bouteille, il a déjà réglé mon déjeuner, cadeau ! Je refuse mollement pour la forme sachant que le “mal” est déjà fait, puis le remercie chaleureusement. 

Générosité gratuite

Je viens de prendre en pleine poire un exemple éclaboussant de générosité humaine, de don totalement gratuit et désintéressé. Cet homme d’une quarantaine d’années dont je ne connais même pas le nom m’a vu et a reconnu en moi l’étranger, le voyageur, le vagabond peut être… il m’a parlé l’espace d’une petite minute avec un regard d’une rare douceur et est reparti sur sa route aussi furtivement qu’il est apparu, sans rien n’attendre en retour, pas même un regard reconnaissant, emportant avec lui le bonheur simple d’avoir ensoleillé la journée d’un humain de passage.

Il est juste parti comme ça sans me laisser sa carte, c’est comme ça au Kirghizistan.

Ça m’a redonné de la force mentale pour le reste de la journée. L’amour est une force, une énergie qui se partage, et cet homme m’a donné de l’amour pur, un diamant brut à emporter avec soi pour la vie.

La richesse de ce don est inestimable, il suffit d’en avoir conscience et d’en faire bon usage. Je ne compte plus les témoignages de bonté que j’ai reçu sur ma route !

>>> ETAPE SUIVANTE : 87. Au cœur des montagnes russes (KIRGHIZISTAN)