Tout est dur et pénible. Psychologiquement autant que géographiquement, c’est les montagnes russes ! Je sens que le point de saturation s’approche déjà . Physiquement et mentalement je me sens épuisé.
Quelque chose de mauvais va arriver et je le sens. Récit d’une journée au cœur des vallées kirghizes.
Je me sens usé.
La montagne a beau devenir de plus en plus belle, et un cours d’eau d’un surprenant bleu turquoise s’obstine bien à tapisser et sublimer ma route, je suis tout de même usé.
Usé par ces côtes sans fin et ces montagnes russes, usé par ce vent défavorable qui ne me lâche plus, usé par la chaleur, usé par l’angoisse du manque d’eau, usé par la solitude, usé par les gens des montagnes qui ne peuvent s’empêcher de me parler en russe pendant de trop longues minutes, usé par ces douleurs causées par ma selle qui deviennent extrêmes et m’empêchent même de m’asseoir sur un fauteuil moelleux… Et usé d’être loin des gens que j’aime. (on dirait une chanson de Damien Saez).
Mais c’est le jeu et je dois continuer à avancer. C’est souvent quand je ne l’attends pas que ce voyage me délivre ses plus grands cadeaux. Je ne dois jamais l’oublier.
Cette journée de souffrances m’aura tout de même offert son lot de fortune:
Un moment court, mais d’une intensité rare qui me donnera l’énergie qui me manquait pour continuer.
En traversant un village, je passe devant un petit restaurant familial. La pause déjeuner se précise, je l’aurais bien méritée. Je remarque vite que je suis le seul client et que je suis presque en train de perturber la journée paisible de cette grande famille composée d’une bonne demi-douzaine de fillettes de 3 à 14 ans.
Certaines, moins timides que les autres m’accompagnent à ma table et me montrent les photos de ce que je peux manger, puis peu à peu, les autres, mises en confiance par leurs sœurs, sortent de leur cachette et viennent assister au repas du fauve.
Mon festin n’est pas seulement un moment de repos pour moi, il est avant tout un spectacle vivant passionnant pour ces enfants.
Mettons-nous à leur place : elles voient débarquer un homme occidental (comme à la télévision) sur un vélo chargé comme une mule, le visage rougi par l’effort, trempé de sueur et émanant évidemment une odeur à la fois virile et sensuelle (les français sentent bon, c’est dans leur ADN).
De ma perspective à moi, ça donne le tableau suivant : pendant que je dévore ma cuisse de poulet avec la grâce d’un guerrier viking, laissant à ma barbe le soin de collecter un maximum de morceaux pour prévenir les moments de disette, les petites filles sont postées devant moi, de l’autre côté de la table individuelle et m’observent.
Je vois encore ces yeux innombrables fixés sur moi, chaque paire étant postée à une hauteur différente, osant à peine cligner des paupières pour ne rien rater du rare spectacle qui s’offre à leur regard. Elles sont toutes à moins d’un mètre de moi, immobiles et concentrées.
Plus amusé qu’intimidé par cette singulière situation, j’en ai retiré beaucoup de force, et j’en aurai besoin.
Décidément, les déjeuners au Kirghizistan m’offrent toujours leur lot de surprises.
Au cœur de ces « montagnes russes », il a eu quelques oasis de plat et de fraîcheur : Les tunnels.
Des tunnels qui me font déjà regretter d’avoir choisi le terme « oasis ». Ces galeries n’étaient d’ailleurs pas extrêmement longues, le problème résidait ailleurs.
Dans ces grands trous creusés à même la roche, le noir est complet et absolu. Ma modeste lampe de vélo ne servant qu’à avertir les autres véhicules de ma présence, ce n’est pas avec cette lumière que je pouvais éclairer quoi que ce soit.
Elle me permettait tout de même de voir grossièrement la direction que prenait le mur, et donc la route, mais il était particulièrement angoissant de rouler à l’aveugle sans savoir s’il allait y avoir sous mes roues un nid de poules ou une grosse pierre.
Et pour couronner le tout, un sympathique chauffeur de poids lourd a trouvé désopilant de klaxonner avec insistance en passant juste à côté de moi dans l’un de ces obscurs tunnels. Je vous laisse imaginer le bruit d’une corne de brume de camion alliée à l’acoustique d’un tunnel fonctionnant comme un amplificateur bien trop efficace.
Le mariage des deux donne naissance à un bruit d’une telle violence qu’on en ressent les vibrations dans tout le corps. J’ai hurlé de toutes mes forces pour lui faire comprendre ma colère, il a réagi en klaxonnant de plus belle, je lui ai répondu d’un magnifique double doigt d’honneur que, j’espère de tout mon cœur, il a pu distinguer dans son rétroviseur.
Je me suis fait un ami pour la vie.
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