Moyen-Orient

52. L’attrape touriste de Shiraz (Marvdasht / IRAN)

Après six heures de route entre Yazd et Shiraz au coeur de l’Iran, sur une longue succession de montagnes, de déserts et d’oasis éparses, notre bus nous laisse sur le bord de la route, à proximité de la ville dans laquelle nous attend notre hôte de ce jour Mojtaba. Je m’apprête à vivre l’une de mes pires expériences de Couchsurfing.

Toujours se méfier quand c’est trop facile !

Pour placer tout de suite les choses dans leur contexte, Mojtaba vit avec ses parents à Marvdasht, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Shiraz mais proche de Persepolis. C’est important de préciser tout de suite une chose : nous n’avons rien demandé à ce garçon pour l’hébergement, c’est lui qui nous a trouvé sur le site Couchsurfing car nous avions posté un message public pour trouver des hôtes dans d’autres villes. Il nous a tous les deux contactés avec le même message en copié collé pour nous dire que nous étions les bienvenus chez lui et sa famille.

En général je n’aime pas quand c’est trop facile et quand les gens viennent me chercher mais c’était l’Iran et je n’avais nulle part où aller à Shiraz, donc par défaut, j’ai fini par accepter son invitation insistante.

Par définition, Warmshowers est plus sélectif que Couchurfing, mais a moins de membres. L’article sur le sujet c’est par ici !

Il invite tous les touristes de passage, bizarre

Déposés par le bus au milieu de nulle part, nous voyons un homme de type européen à l’ombre d’un petit abris semblant attendre quelque chose. Nous l’abordons en anglais, avant de s’apercevoir rapidement qu’il est parisien et qu’il s’appelle Pierre. La coïncidence ne s’arrête pas là: il attend un taxi pour aller chez ce même Mojtaba dans la même ville que nous. Nous partageons donc le taxi.

Savoir rester sur ses gardes

Une fois arrivés chez lui, je m’efforce d’être affable et agréable tout en restant un peu sur la réserve car les derniers hôtes nous ont montré que c’est parfois plus nos dollars que l’échange humain qui motive leur sens de l’accueil.

Il nous présente ses parents et sa femme, avec lesquels il partage la maison, et j’explique à ces braves gens notre idée d’aller visiter Persepolis et ses environs dans l’après-midi. Mojtaba dit alors la phrase qui casse tout… à partir de ce moment il n’est plus à nos yeux un hôte désintéressé mais un guide touristique déguisé :

« Si nous voulez je peux vous emmener en voiture à Persepolis et vous emmener faire la visite, mais il faudra que je loue à mon oncle sa voiture pour ça, il faudra juste que vous participiez un peu financièrement. Aussi demain matin j’aimerais beaucoup vous montrer un village qui est dans les montagnes, il est loin, il faudra aussi y aller en voiture ».

Ca falait quand même le coup de visiter Persepolis !

Repousser l’arnaque avec diplomatie

Je comprends immédiatement, et pour préparer ma riposte je vérifie sur l’application Uber locale les tarifs de chez lui jusqu’à Persepolis. Un prix dérisoire, bien plus faible que celui qu’il nous a demandé. Je lui dis donc tout de suite droit dans les yeux mais en prenant un faux air naïf :

« C’est très gentil à toi de proposer mais je viens de trouver un taxi qui peut nous emmener pour un prix très faible, en partageant les frais par trois c’est quasiment gratuit pour nous autres. Je ne veux donc pas que tu gâches ton après-midi pour nous et que tu déranges ton oncle pour ça, nous allons nous débrouiller par nous même. »

Je n’aurais pas pu présenter la chose avec plus de diplomatie. Je sens tout de suite la surprise et la déception dans ses yeux, je remarque des échanges de regards entre lui et sa femme et vois son visage se fermer. Mais il ne bronche pas et me dit qu’il comprend.

Au moment d’aller prendre le taxi, poussé par la force du désespoir, il tente tout pour nous faire perdre du temps, comme s’il veut qu’on rate le coche par tous les moyens. Il réussit d’ailleurs son coup, ce qui nous pousse à faire de l’auto-stop jusqu’à Persépolis. Sans le vouloir il nous a même fait économiser de l’argent !

Mon récit n’ayant pas pour vocation d’être une carte postale, je ne parlerai pas de Persépolis. Je vais me restreindre à un seul qualificatif : impressionnant !

Exploiter ses hôtes par tous les moyens

De retour chez Mojtaba, l’esprit encore ailleurs, transporté dans le temps par la magie de Persépolis, notre hôte nous fait cruellement regagner la terre ferme du 21e siècle.

Déçu par son premier échec, il ne dit pas son dernier mot et tente par tous les moyens d’exploiter nos compétences, comme pour rentabiliser notre présence. Et il a beaucoup d’imagination, l’animal ! Il commence par demander à Pierre, qui est développeur internet, de lui créer un site internet dans la soirée, ce qui évidemment est impossible, surtout avec la faible connexion internet dont il avait accès. Il insiste évidemment lourdement, et nous assistons à une négociation d’une bonne heure dans laquelle Pierre commence à avoir des bouffées d’angoisse, ne sachant plus comment se débarrasser de cette sangsue.

Qu’à cela ne tienne, Mojtaba a trois invités, soit encore deux chances de gagner un petit quelque chose. Apprenant que je suis graphiste il me demande alors de faire le design de son site internet, je m’en sors en prétextant à juste titre que j’ai besoin au moins de Photoshop ou Illustrator. Par chance il ne les a pas. C’est ensuite au tour de Mathieu qui a un passé d’installateur de télévisions : il lui demande de régler et réparer sa télévision.

Il avait tout bonnement besoin de rentabiliser chaque invitation, tout cela nous a laissé un très désagréable arrière-goût. Chaque personne qui mange à sa table doit lui apporter quelque chose, doit être exploité d’une manière ou d’une autre. On est loin de l’esprit originel de Couchsurfing, qui est d’accueillir l’étranger chez soi sans rien n’attendre en retour, la récompense étant dans le partage, l’ouverture à l’altérité, l’enrichir intérieurement… Donner c’est recevoir.

Une ambiance lourde et détestable

Au lieu de cela, Mojtaba, par son avidité, a réussi à engendrer une ambiance détestable et une tension écrasante tout au long de la soirée, car il a aussi tenté pendant le dîner (dîner constitué de riz blanc et d’herbes) de nous faire changer de l’argent, il voulait des dollars, des euros, des francs suisses… Tout était bon à prendre. Nous avions beau expliquer que l’on n’avait pas besoin de changer d’argent, que l’on avait assez de Rials pour le reste du voyage, il continuait à s’entêter grossièrement. Et j’avoue que ses équipements dernier cri ne m’ont pas aidé à ressentir un quelconque sentiment de pitié.

Un garçon sans empathie

Notre hôte s’est un peu relâché avec moi quand je l’ai aidé à analyser un texte d’anglais pour ses cours, j’ai alors compris un peu mieux sa personnalité :  Après réflexion, ce garçon n’est rien d’autre qu’un jeune homme un peu stupide, naïf et sans coeur… sans aucune forme d’empathie. Quand je lui expliquais le sens de ce texte, j’avais l’impression étrange de faire la leçon à un petit enfant fragile et un peu niais. Un gosse dans un corps de 25 ans. On l’a juste éduqué comme ceci, à exploiter tout ce que l’autre peut lui apporter sans aucune considération humaine, sans aucune forme de compassion. L’autre est un bien ou un service.

Dernière tentative !

Pour finir sur son cas quasi-irrattrapable, nous prenions le petit déjeuner avec ses parents, plus glacés que jamais, quand mon téléphone vibre. Un message de sa part (il avait dû s’absenter plus tôt) m’explique que sa maman nous apprécie tellement qu’elle serait heureuse si on pouvait lui laisser un petit cadeau en souvenir de nous, ou bien de l’argent. Nous n’avons pas grand-chose et franchement pas le cœur à laisser quoi que ce soit mais nous mutualisons nos efforts et offrons docilement un sac rempli de feuilles de verveine et une tablette de chocolat Milka à sa mère, qui n’esquisse toujours pas un sourire.

Au moment de partir, son père revient à la charge, et très froidement nous fait des gestes qui veulent dire : « Donne nous de l’argent, on t’a accueilli chez nous ». Je fais semblant de ne pas comprendre et je fais le naïf : « C’est très gentil à vous de m’inviter à revenir, ce sera avec plaisir ! ». On a fini par se sortir de ce bourbier. Je ne peux m’empêcher de partager ici l’échange de messages que j’ai eu avec de garçon à propos du cadeau :

Mojtaba (traduit en français) : “Ma mère m’a dit que si vous aviez quelque chose à lui donner elle apprécierait beaucoup, je veux dire, comme un souvenir. Une petite chose par exemple… parce que comme elle m’a dit, elle vous aime vraiment beaucoup, chacun de vous. Parce que chaque personne qui vient dans notre maison donne une petite chose ou un peu d’argent pour elle. Elle veut garder ça dans son cœur pour toujours.” 

Mojtaba : “Ma mère m’a dit de te dire que c’est adressé à chacun de vous.”

Sa mère ne nous a jamais adressé la parole ni accordé un sourire de notre séjour. Sa pudeur l’honore.

>>> ETAPE SUIVANTE : 53. Du rififi à Shiraz (IRAN)

Charles

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