27. L’extase de la vitesse (Anatolie / TURQUIE)

Réveil viril. Il a fallu sortir d’un sac de couchage bien chaud pour affronter l’haleine glaciale de l’aube, déplorer les réserves d’eau à moitié gelées et réparer mon pneu crevé pour enfin pouvoir attaquer la route dans de bonnes conditions. Pas le choix car une très grosse côte m’attendais dès le début, pas le temps de s’échauffer, et grimper un col à 1850 mètres à 8h30 du matin, ça pique.

col turquie
Il va falloir mériter sa descente !

Vitesse vertigineuse

En revanche, qui dit effort, dit récompense. La suite a donc été beaucoup plus amusante :  pendant près de 45 minutes je n’ai cessé de descendre à des vitesses parfois vertigineuses, en étant à plusieurs reprises proche de battre mon record de la veille (73 km/h), j’ai même été obligé de doubler un camion par la file de gauche. Dangereux mais extrêmement grisant et gratifiant !

A un moment précis, après un virage très serré, et alors que ma vitesse atteignait des sommets, la vue s’est complètement dégagée devant moi, me donnant véritablement l’impression de voler ! Le spectacle était saisissant de beauté. Je vous laisse imaginer : je me laisse porter par la pente à plus de 70 km/h, le bruit assourdissant du vent occulte tous les autres bruits, renforçant cette impression d’être là sans être là, comme faisant partie intégrante de ce monde, de cette réalité, tout en étant dans une autre dimension physique. Un monde qui ne répond plus aux lois terrestres, et dans laquelle une chute est inconcevable, une blessure est impossible et mon corps est infini, comme doté de pouvoirs défiant la vie elle même. Nous avons tous déjà ressenti cette impression de toute puissance. Cette petite mort. Cet instant où la peur n’existe plus. Ce moment magique où notre perception de la réalité passe dans un mode de confiance absolue en soi et en sa capacité à conquérir le monde. L’espace d’un instant, on est Dieu… ou peut être un être de lumière. On sort de soi-même, de notre enveloppe charnelle et de notre finitude. Nous ne sommes plus qu’amour absolu envers le reste de l’humanité et envers le cosmos tout entier. Notre corps n’est plus qu’un gant périssable dont on ne se sent plus si fatalement lié et ça ne nous perturbe pas, s’en échapper ne signifie plus mourir. On ne sent plus cette mortalité car nous ne répondons plus aux lois de la matière mais aux lois de l’esprit. Certaines situations extrêmes comme celle-ci ouvrent une petite fenêtre qui permet à l’esprit de s’affranchir l’espace d’un instant de sa prison, de ses limites matérielle. Dans cet instant fragile, l’amour, la force intérieure et notre propre divinité sont tout ce qui importe. On caresse l’éternité, et on en a conscience. Cette expérience conditionnera en moi une espérance en la vie qui m’aidera à vivre avec foi et plus intensément le reste de la journée, et bien au delà.

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