Huit jours de vélo séparent Tabriz de Téhéran (deux des plus grosses villes d’Iran), ma prochaine grosse escale. Miyaneh est encore à 40 kilomètres mais j’ai besoin d’une pause. Il est temps de déjeuner.
La route est assez déserte et montagneuse, pas de restaurants et je ne croise que des troupeaux de moutons en guise de nourriture. Aujourd’hui, ça sera donc pique-nique. Je me décide à chercher un endroit correct pour me poser et trouve rapidement une sorte de verger tapissé d’une herbe assez grasse pour y poser ses fesses, même si elles sont déjà anesthésiées par quatre heures de route. Je laisse mon vélo en contrebas et me choisis un arbre parmi d’autres.
Tandis que je commence à manger des noix et que je verse des aubergines à l’huile sur du pain iranien, une voiture s’arrête au bord de la route en face de moi. Un homme d’une bonne cinquantaine d’année en sort et me regarde. Moi et mon sens inné de la culpabilité, nous nous levons, nous rapprochons de l’homme et lui montrons du doigt les lieux en le questionnant du regard tout en levant un pouce interrogatif de validation. Il m’observe et ne semble pas comprendre la question. Il s’approche de moi en escaladant la petite butte qui me séparait de la route. Et moi, ne sachant toujours pas s’il s’agit du propriétaire des lieux, de lui demander si c’est « ok » de déjeuner sur ces terres. L’évidence même. Pour lui c’est bien sur autorisé.
Cet homme s’avèrera être un simple routier de passage qui cherchait lui aussi un endroit paisible pour casser sa croûte. Il s’assied à côté de moi sous mon arbre et étale son banquet. Nous échangeons quelques mots, et nous apercevons vite qu’à part les noms de ville et de pays, nous avons bien des difficultés à nous comprendre. Alors quand les mots manquent, les gestes et les cadeaux sont de mise. Oui, on échange nos denrées. Il m’offre généreusement du thé, et moi quelques amandes. Les gestes les plus simples du monde mais qui signifient tellement : “Nous ne sommes pas du même monde, mais ici nous sommes ensemble sur la même route, et Dieu ou le hasard nous a amené à nous croiser. Profitons de ce moment, nous ne nous reverrons jamais, mais la rencontre est belle et spéciale”. On ne parle pas, ou peu, mai ça va, on apprécie la présence de l’autre, gratuite et vraie. Pas d’artifices, des regards qui ne peuvent pas mentir, beaucoup de bienveillance.
Une simple rencontre sur la route en Iran. Comme la plupart de mes déjeuners durant ce voyage, je ne l’oublierai jamais. Un souvenir unique et rare ne s’oublie pas. Je crois que je suis trop sensible, ou juste pas encore assez habitué à ce genre de rencontres fugaces mais chaque adieu est un peu douloureux pour moi, comme un mini deuil à chaque “au revoir”. L’étonnante facilité avec laquelle cet homme part sans se retourner témoigne de cette mentalité orientale où la rencontre, l’éphémère et la finitude font partie intégrante de leur quotidien : “Nous nous sommes rencontrés, le moment était beau, unique, j’ai apprécié ta présence et elle restera inoubliable pour moi, mais la vie continue, je dois livrer mon blé à Bostanabad et toi tu vas rencontrer encore d’autres personnes ce soir à Miyaneh. Allah yahfazuk (Que Dieu te garde).”
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