Moyen-Orient

49. Rencontre avec un fou (Ispahan / IRAN)

Nous sommes à Ispahan en Iran. Et voici Ali Reza, l’un des personnages les plus fous, imbus de leur personne et dangereux que j’ai pu rencontrer de ma vie, voilà qui est dit.

Arrivée à Ispahan

Nous arrivons à Ispahan (Iran). Mathieu, mon nouveau camarade de route, ne sait pas encore où dormir. De mon côté Ali Reza a accepté ma demande d’hébergement sur Couchsurfing. Je lui fais alors savoir que j’ai un camarade avec moi, il accepte de nous héberger tous les deux. Après une longue et mouvementée négociation avec un taxi, Mathieu, moi et son vélo sommes en route pour le lieu de rendez-vous fixé par Ali Reza. En arrivant, nous le retrouvons en bas d’un immeuble en pleine distribution de nourriture à l’occasion de cette fameuse fête religieuse. Des dizaines de personnes étaient là, mangeaient, riaient et nous regardaient avec curiosité.

La fête commence

Première rencontre avec Ali Reza

Après la bataille, nous avons enfin pu passer un peu de temps avec lui. C’est un personnage singulier et inquiétant. Il a 24 ans et est le propriétaire d’une école privée de design et d’image, occupant la totalité d’un grand immeuble moderne. Nous l’avons accompagné à son bureau et avions l’impression d’escorter un parrain de la mafia. Il était là, affalé sur son énorme fauteuil en cuir noir et les pieds sur le bureau, à nous parler de lui-même, de son école, de ses succès. Il nous proposait des bonbons tout en parlant à trois étudiants qui étaient restés tardivement à l’école pour l’aider. Ils le regardaient comme on regarde un homme dangereux que l’on est obligé de respecter plus par contrainte que par volonté réelle. Malgré leurs rires de façade, on distinguait la crainte dans leurs yeux. Dans quelques dizaines de minutes, elle sera plus que justifiée.

Ali Reza, c’est le mec à droite. Il veut voir de l’explosion !

Un fou du volant en plein Ispahan

Deux feux d’artifices plus tard pour marquer le coup en essayant de débloquer à main nue des fusées déjà allumées (!), Ali nous raccompagne en voiture chez lui. J’étais à la place du mort et Mathieu était à l’arrière avec les trois étudiants… aussi à la place du mort ! Pour commencer le cirque, il faut s’imaginer la posture du conducteur de cette Peugeot 405 améliorée : il conduisait dans une posture quasiment allongée de telle manière que je me demandais comment il en arrivait à voir la route. En me questionnant plus tard sur cette position étrange, j’en suis venu à la conclusion simple qu’il cherchait juste à augmenter ses sensations de pilotage en étant plus bas par rapport à la route. Malin.

A 140 km/h sur le périph’ d’Ispahan

Nous avons donc pu apprécier à nos dépends ses talents de pilote et d’inconscience pendant que ses élèves à l’arrière se gaussaient bruyamment par plaisir ou par nervosité… peut être les deux. Je dois dire qu’à ce stade je n’étais pas en état d’avoir le moindre discernement sur les émotions humaines d’une quelconque altérité, peut être que la peur est la limite à l’empathie. Je me contentais de scruter le moindre centimètre de cette route de la mort comme si c’était moi qui pilotais, pour savoir si à chaque seconde de cette course folle j’allais gagner un petit sursis de survie. Il était littéralement fou à lier ! L’irresponsabilité incarnée, le diable au volant ! Il dépassait les voitures par la droite à 140 km/h sur le boulevard périphérique d’Ispahan, parfois se faufilant entre deux véhicules, laissant 5 centimètres d’espace de chaque côté des rétroviseurs. Collant, pilant, réaccélérant, rétrogradant en permanence pour remonter en régime et gagner en couple. Mathieu, à l’arrière, encore plus paniqué que moi, me demande de dire quelque chose à notre psychopathe de chauffeur, que ça ne nous amuse pas, qu’on préfère vivre… je ne voulais pas lui faire perdre sa concentration mais je me permets tout de même de lui dire avec un peu de diplomatie (peut être trop) qu’on n’est pas si pressé, que ça va aller. Il comprend et ralentit la cadence pendant 20 secondes, puis s’ennuie et repart de plus belle ! Je lui dis à l’arrivée, en faisant mine de rire, que la prochaine fois ca ne sera pas la peine d’aller si vite. Il ne réagit pas, et nous montons chez lui. 

Nous sommes vivants !

Je dois avouer que je ne faisais pas le malin. Je crois que je n’ai jamais vu une conduite aussi sportive et dangereuse de ma vie, et j’ai rarement ressenti aussi fort la fragilité de mon existence. Mais nous sommes sains et sauf c’est le principal ! Ce soir j’ai envie d’apprécier la vie et profiter d’Ispahan. Nous sommes en Iran et à Ispahan, ici la vie est fragile.

Le fleuve d’Ispahan, le Zayandeh Roud à sec

Ispahan, entre beauté et désolation

Remis de nos émotions de la veille, nous nous levons de bonne heure. Première journée à Ispahan pour Mathieu et moi, nous partons d’un pas décidé sur les trottoirs de la ville, prêts à immortaliser chaque recoin d’église arménienne, chaque minaret de ces mosquée aux sublimes décorations, la réalité nous a cependant vite rattrapé au moment de traverser le fameux fleuve qui coule au mieux d’Ispahan en Iran… du moins ce que nous pensions être le fleuve. Il s’avèrera être en réalité un lit de rivière aride et craquelé sur lequel trône tristement de superbes ponts, tels des rois sans sujets, beaux mais inutiles, majestueux mais sans reflet. Un spectacle d’une infinie désolation.

L’hospitalité iranienne

L’hospitalité iranienne, encore

Un peu déprimés par cette vision apocalyptique, nous traversons des jardins publics envahis de famille iraniennes en train de pique-niquer en cette journée fériée. Tandis que nous passons devant une famille assise sur l’herbe, un homme nous fait signe de nous joindre à eux. Un peu hésitants, ne voulant pas déranger leur quiétude familiale, nous finissons par céder face à l’insistance de ces gens, pensant rester quelques instants. L’hospitalité iranienne, encore et toujours ! Ils nous offrent un thé, et de fil en aiguille nous restons presque deux heures avec eux. Ils nous offrent à manger, à boire. On parle avec eux, on rit ensemble, on joue avec leurs enfants. Nous avons cette exceptionnelle, mais ici si habituelle impression de faire partie de leur famille.

Les mosquées de la place Naqsh-e Jahan

10 minutes d’adieux déchirants et d’amabilités plus tard, nous décollons en direction de la place Naqsh-e Jahan. En découvrant que chaque visite de monument est payante, nous décidons de nous borner à ce qui vaut vraiment le coup et optons pour la mosquée du Shah. La négociation à l’entrée est difficile mais efficace. Nous allons directement voir l’homme qui vérifie les tickets à l’entrée pour lui expliquer que nos moyens sont limités, que l’on voudrait payer le tarif Iranien… Les talents de négociateur de Mathieu font la différence. Après 2 minutes d’une âpre discussion, l’homme nous laisse passer sans payer en nous expliquant le deal : Une fois à l’intérieur, nous lui mettrons dans la poche la moitié du prix du billet pour touriste. 15 minutes plus tard, dans cette mosquée d’une incroyable beauté, il nous retrouve et nous lui donnons son « pourboire ».

Nous garderons d’Ispahan (ville unique en Iran) un souvenir partagé entre l’effroi et la contemplation. Cette ville jongle sans cesse entre excès et spiritualité, entre folie et humanité. Et ça n’est pas propre à Ispahan… toute l’Iran est comme ça.

>>> ETAPE SUIVANTE : 50. Un couchsurfing particulier (Yazd/ IRAN)

Charles

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