Toujours l’Allemagne, ça n’en est d’ailleurs que le début. Je m’approche du Danube, espoir salvateur de ce début de périple qui s’avère déjà bien plus douloureux que prévu. En ce matin du 19 février 2018, je quitte Stuttgart sur une route enneigée, magnifique et immaculée. Faire du cyclotourisme sur la neige n’est pas une sinécure.
Un parcours de 45 kilomètres me sépare de ma destination du soir, Wittlingen, petite bourgade de basse montagne dans laquelle m’attend Gudrun, une ancienne cyclo-voyageuse qui a fait le tour du monde en solitaire au début des années 80, voilà du vrai courage ! Mais revenons à la route. 45 kilomètres ça a l’air modeste hors contexte mais aujourd’hui fut encore le théâtre d’un combat sans merci. Un combat contre la neige, contre mon vélo et contre moi-même.
Je vais apprendre que cyclotourisme et neige font mauvais ménage.
Mon objectif était d’arriver pour 13h chez Gudrun avec un bon déjeuner chaud à la clé. Je l’aurai vraiment mérité ! Je savais qu’une côte sans précédent m’attendais mais j’étais loin de m’imaginer dans quelles proportions. Ce furent les pires conditions possibles, toutes étaient réunies ensemble, se tenant la main dans une magnifique farandole de souffrance et de peur.
Pour commencer, un joli panneau bien encourageant avec inscrit dessus « Pente à 12,5% sur 2,5 km » m’a vite fait comprendre que j’allais encore avoir des choses à raconter à mes lecteurs ! Je mange une barre chocolatée pour me donner des forces, et je m’engage bravement dans cette route sans échappatoire car entourée de glissière de sécurité pour éviter que les voitures tombent dans le vide. Il n’y a que cette côte de la mort, mes jambes qui commencent à fléchir, la neige, les glissières, les voitures en continu et aucun moyen de s’arrêter pour souffler.
Pourquoi je ne peux pas m’arrêter ? Tout simplement parce qu’on est en Allemagne et que dans ce pays qui aurait pu inventer le mot discipline, les voitures qui ne peuvent pas s’assurer une marge de sécurité minimum pour doubler un vélo attendent docilement derrière lui sans jamais se plaindre, au risque de créer un véritable embouteillage. Je maintiens donc mon inéluctable ascension en ressentant un grand sentiment de solitude malgré le nombre surprenant de véhicules. Mes forces commencent à m’abandonner peu à peu, mes genoux et mon dos souffrent, mais il faut tenir. Dans ce cas, on crie à s’en briser les cordes vocales pour retrouver des forces (c’est psychologique mais ça aide), on essaye de coller au maximum à droite sans rouler sur la neige sous peine d’être stoppé net et de risquer la chute. Un numéro d’équilibriste bien encouragé par le bruit des moteurs qui devient petit à petit une agression psychologique.
Bref, j’avance tant bien que mal quand soudain ma roue arrière se bloque littéralement. Elle aurait pu me faire ce coup là à n’importe quel moment de mon voyage… elle l’a fait maintenant ! Il a fallu que je passe de l’autre côté de la glissière pour faire un état des lieux à l’abri de la circulation. Le diagnostic est difficile à expliquer mais la chape de mon dérailleur arrière s’est astucieusement coincée entre les rayons de ma roue, je ne sais vraiment pas par quel miracle démoniaque ! Et impossible de la débloquer, elle est complètement prise entre deux rayons, et la patte du dérailleur est toute tordue pour ne rien arranger. C’est l’impasse. Je me vois déjà porter mon vélo de 40 kg jusqu’en haut de cette côte du purgatoire, les pieds dans 30 cm de neige avec les voitures à ma gauche et le précipice à ma droite… Je me ressaisis, et je trouve la force et la détermination suffisante pour débloquer temporairement le problème en perdant une main au passage. Il me faudra tout de même terminer tant bien que mal cette escalade, privé des vitesses sur grand pignon, ce qui signifie que la fin de la côte sera bien pire.
Je commence à croire que la neige est le pire ennemi du cyclotourisme.
Je suis arrivé chez Gudrun (contactée par Warmshowers, beaucoup mieux que Couchsurfing !) tout juste bon à ramasser à la petite cuillère. Heureusement elle s’est occupée de moi comme une vraie petite maman, et la cycliste et voyageuse expérimentée qu’elle était savait exactement ce dont j’avais besoin : une douche, du repos, des vêtements propres et un bon repas bien chaud et bien consistant… elle m’a apporté le paradis sur un plateau !
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