Dernière étape de ce périple de 8 mois. Retour sur les derniers instants de ce voyage, des retrouvailles avec mes proches et avec mon univers.
J’ai quitté Compiègne ce matin et je suis arrivé à Paris. Je traverse le 19e arrondissement, puis le 10e, je longe l’opéra Garnier, je descends l’avenue de l’Opéra, passe sous le porche du Louvre et je me retrouve avec une nuée de touristes au milieu de la cour du Louvre. Je remonte les quais jusqu’à la Tour Eiffel, réponds à quelques messages me demandant où j’en suis… Mes proches sont déjà sur place, ils m’attendent.
Je passe à côté de la Tour Eiffel et découvre qu’on ne peut plus passer sous la tour sans prendre un ticket. Ils ont installé des vitres géantes tout autour de la Dame de fer, sans doute une mesure anti-terroriste, dommage, confinée dans sa cage de verre, elle n’a pas le même éclat. Je remonte le Champ de Mars jusqu’au Mur pour la Paix, je les cherche des yeux et je vois au loin mon cousin qui hurle « le voilà ! » en me montrant du doigt.
Je ne peux plus me cacher, j’avance dans leur direction sur le gazon, l’air fier et valeureux, ils commencent à entonner mon nom, en brandissant un panneau de bienvenue et un drapeau français. J’ai l’impression d’être un coureur à l’arrivée du Tour de France, je joue le jeu et je roule jusqu’à eux en danseuse comme un cycliste passerait la ligne d’arrivée.
Je mets pied à terre.
Trop d’informations… Je suis tellement confus de revoir tous ces visages familiers entremêlés que j’en oublie de leur dire bonjour. On me congratule, on m’offre à boire, je prends la pose avec mon vélo, on me pose des questions sur mon voyage dont je n’ai pas encore les réponses : “Alors, ça t’a plu ?”, “Tu as fait combien de kilomètres ?”, “Qu’est ce que tu as préféré ?”, “Tu as beaucoup crevé ?”, “Tu vas faire quoi maintenant ?”… ahhh ! Laissez-moi juste souffler et profiter de votre présence, racontez-moi votre vie plutôt !
Revoir tout ce beau monde réuni pour moi est un bonheur immense. Tout est à sa place, personne n’a changé, c’est un retour à la normale. J’ai même l’impression étrange de ne jamais être parti. En fait, tout est resté semblable sauf une personne : moi.
Peu à peu tout le monde se retire pudiquement pour me laisser seul avec mon aventure. Oui, je dois encore achever les 5 derniers kilomètres qui me séparent de chez mon père, destination finale.
Je remonte sur mon vélo en direction de la rue Bayen dans le 17e arrondissement. Je savoure chacune de ces 5 bornes comme si elles allaient être les dernières de ma vie… de la vie d’avant, oui.
Je remonte l’avenue Marceau, je fais le tour de la place de l’Etoile, descends l’avenue Mac Mahon, et j’arrive dans le quartier des Ternes. Tiens, je remarque les nouveaux commerces, les nouveaux éternels travaux dans les rues. Je reconnais des visages familiers, les petits commerçants, les SDF, les piliers de bars sur les terrasses… c’est bon de retrouver son quartier !
Et pourtant j’ai cette étrange sensation d’être étranger. Ma tête déborde tellement de souvenirs, de souffrances, de combats, de bonheurs inouïs, de peurs et d’abandons, de rencontres… si ces gens savaient d’où je viens, par quoi je suis passé… s’ils pouvaient lire dans ma mémoire pourraient-ils supporter toute cette pléthore assourdissante, cette saturation d’émotions ?
Qu’importe, il faut que ça sorte, je vais écrire un livre de tout ça tiens, ils vont bien finir par le savoir.
De retour après 8 mois de voyage. J’arrive en bas de l’immeuble avec mon vélo chargé comme une mule et je croise un voisin qui me parle, par curiosité pour mon vélo si chargé. Je lui explique brièvement mon histoire pour nourrir son intérêt et satisfaire mon égo. Il semble alors surpris et très fier d’apprendre que j’arrive tout juste de mon voyage, que je viens de pousser le dernier coup de pédale et que je m’apprête à franchir le seuil de ma maison.
Cet homme avec qui j’ai parlé trois minutes aura été ma toute dernière rencontre du voyage.
Mais ça, c’était avant.
J’arrive à ce point de transition étrange où le présent devient le passé et où le futur s’apparente à un vide sans fond. La ligne du temps est ébranlée, je ne sais plus où m’y positionner.
Je profite donc encore de ces 30 secondes de présent qu’il me reste. Je monte l’escalier avec mon vélo sous le bras, les affaires dans l’ascenseur, j’atteins le deuxième étage, je mets la clé dans la porte, j’entre, je ferme la porte… C’est fini………………………………
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Bonjour Charles-Henri
Arrivé sur votre site au gré des liens, après avoir exploré les alternatives présentées à CS et WS, j'ai commencé vers 20H30 votre premier billet de voyage. Il est maintenant 3H50 et je vous lâche à la porte de votre appart.
Des heures de dépaysement à plus d'un titre. Dépaysement culturel d'une part, confronté ( sans jugement aucun ! ) aux différences avec mes propres représentations du monde. Et bien des ressemblances aussi, d'abord par notre fond commun civilisationnel, mais aussi dans l'esprit d'ouverture et de compréhension des autres.
L'une des qualités majeures de votre récit, au delà de sa richesse, et de n'avoir pas masqué les difficultés rencontrées, ce qui tranche avec nombre d'autres récits qui, tout en étant de qualité, on parfois un peu trop tendance à édulcorer cela. J'ai un peu voyagé, dans l'esprit dont vous faites état, j'ai 62 ans, ce qui vous rapportez ne m'est pas étranger.
Les voyages, qui peuvent parfois êtres immobiles, sont tous confrontés à leur aboutissement. Pour ma part, le remède à la mélancolie induite, je l'ai trouvé dans les livres. La philosophie, l'anthropologie, l'éthologie m'ont ouvert à une dimension de la vie comme voyage permanent, ou la fin d'un trip devient de la même nature qu'une étape du soir...ou presque.
Privilège de l’âge peut-être ? Privilège en tout cas que je n'ai pas eu à payer par un émoussement des sensations : l'immensité insondable de notre "boîte noire" personnelle garantit que le voyage ne s'achève jamais.
Vos mots lorsque vous évoquez la cueillette d'une pomme dans un coin improbable de Pologne ou d'Allemagne à votre retour vont dans ce sens. Vous y parliez d'enracinement, et je ne saurais que trop vous recommander la lecture de "L'enracinement" de la philosophe Simone Weil (à ne pas confondre avec la femme politique tout aussi estimable que fut sa contemporaine Simone Veil). Je me permet de penser que vous en tirerez profit, si ce n'est déjà fait.
Merci donc à vous pour ce beau et riche témoignage et qui sait, à se croiser sur les routes d'Europe :)
Bien cordialement,
Vincent d'Eaubonne
Bonjour Vincent, et un grand merci pour votre long message ! C'est pour moi très encourageant, d'autant plus que je projette très prochainement de faire publier ou auto-publier (plus réaliste) une version livre ou e-book de mon récit. Je vais y apporter quelques améliorations, quelques réflexions que le recul m'aura enseignées, et supprimer des passages qui n'apportent pas grand-chose.
Et si jamais vous roulez sur les routes d'Europe, je suis maintenant en Pologne !