Asie Centrale

89. Objectif : Bichkek vivant (KIRGHIZISTAN)

Après la nuit en enfer que j’ai vécue, le réveil est douloureux. Impossible d’avaler quoi que ce soit d’autre que du thé et de l’eau. Encore le ventre dans un sale état, une fatigue terrible et une sensation de faiblesse extrême m’envahissent. Tout juste assez de force pour plier ma tente et descendre mon vélo jusqu’au restaurant. Mon corps est hors service. Mais je dois rejoindre Bichkek, il faut avancer !

De l’auto-stop jusqu’à Bichkek

Ça ne sera pas judicieux de partir sur la route aujourd’hui, d’autant que le déluge ne fait que s’intensifier. Mais je ne peux pas perdre trop de temps. Mon idée est donc la suivante : je dois continuer à avancer donc tant pis pour ces montagnes, je vais tenter de faire de l’auto-stop jusqu’à Bichkek, dans le but d’y être pour la soirée. 

Ne jamais compter sur les autres

Pour atteindre cet objectif, j’ai pensé naïvement que ce restaurant responsable de mon état pourrait m’aider à me trouver un véhicule parmi ses clients. Ils acceptent effectivement de m’aider, mais le résultat sera plus que mitigé : Durant de longues heures, je ne les verrai que demander timidement à deux ou trois personnes sans trop avoir l’air d’y croire.

Le stress monte, mais je suis trop faible physiquement pour prendre les choses en main… je décide donc de me donner jusqu’à l’heure du déjeuner pour prendre une décision. Le moment approche mais absolument rien ne bouge.

Je suis soudainement pris d’un élan d’énergie, une force qui me semble venir de l‘extérieur. Je me lève comme un pantin en subissant les mouvements de mon corps et je quitte sans adieux ce maudit restaurant. 

Demander directement aux routiers

J’affronte la pluie, je longe cette route tapissée de boue et de poids lourds, je m’installe stratégiquement à côté d’un groupe de routiers en pause, leur expose mon problème avec des gestes jusqu’à ce que la mayonnaise prenne, et je laisse ensuite la magie opérer.

Magnifique inspiration ! Les chauffeurs, qui connaissent mieux que moi les codes de routiers, font de grands mouvements à chaque poids lourd qui passe en me montrant du doigt.

Après 10 minutes, un camion citerne transportant du GPL s’arrête sur le bas côté. Victoire !

Arriver vivant à Bichkek !

Le généreux routier, qui n’était pas très souriant ni sympathique au premier abord, s’avère être de plus en plus gentil et avenant avec le temps.

Évidemment il conduit comme un dangereux psychopathe, mais ce n’est pas le premier et ce ne sera sans doute pas le dernier que je croiserai dans ces pays-là, et puis on s’habitue à tout, vraiment tout…

Dans ces mauvaises routes sinueuses et très fréquentées, il a tendance à conduire son camion citerne comme s’il était au volant d’une Peugeot 205 GTI, tel un adolescent des années 80 en mal de sensations fortes.

Quand on aime les surprises c’est chouette, mais les aléas de la route avec 30 m3 de gaz propane dans le dos, c’est pas si amusant que ça. Je ne compte plus les dépassements plus qu’aléatoire d’autres poids lourds sur la file opposée en plein virage sans la moindre visibilité, avec comme unique issue d’évidement la montagne à gauche et le vide à droite. Et parfois les véhicules arrivent en face. Dans ces cas-là mon pilote de chauffeur se rabat le plus vite possible en plein dépassement, obligeant le véhicule doublé de piler sur ses freins, voire de rouler sur le bas-côté, et poussant aussi celui arrivant en face à empiéter généreusement sur l’extérieur de la route… Pour peu qu’il y ait un accotement sans glissière de sécurité.

« Sécurité »… Un mot qui n’a qu’un sens de façade pour eux, car ils ont cette fâcheuse tendance à faire semblant de mettre la ceinture uniquement devant un barrage de police, pour la retirer immédiatement après, comme si ce sentiment éphémère de non-danger les oppressait, leur enlevait leur liberté de choisir de risquer la mort à chaque virage. C’est d’ailleurs étrange ce besoin d’enlever à tout prix la ceinture dès que la police détourne les yeux, peut être qu’en tant que peuple des grandes steppes et des montagnes infinies, ils ne peuvent supporter l’étroitesse qu’impose le port de la ceinture. Leurs ancêtres chevauchaient au triple galop sur les grandes plaines sans jamais se préoccuper du danger, la vie étant faite de risques. La vie elle-même est un risque, un simple équilibre biologique fragile. Une mécanique huilée à la perfection qu’un simple grain de sable peut anéantir. Mais c’est cette fragilité de l’existence qui la rend si riche, passionnante, enivrante et précieuse. 

Une route dangereuse mais superbe

La route malgré toutes ces aventures était magnifique, grimpant à près de 3200 mètres, et agrémentée d’un grand nombre de yourtes, de chevaux en liberté, d’enfants jouant au foot (parfois avec un ballon dégonflé, parfois avec une bouteille en plastique) et de neige.

Un spectacle bien dépaysant que je regrette amèrement de ne pas avoir fait à vélo. Clou du spectacle, à plus de 3000 mètres, il a fallu traverser un tunnel, que je n’aurais jamais pu décemment emprunter à vélo.

L’épreuve du tunnel de Too Ashuu

Ce tunnel-là j’en avais beaucoup entendu parler sur ma route. Voyageurs comme locaux m’avaient mis en garde… ne pas l’emprunter à vélo, ça serait du pur suicide !

L’entrée du Tunnel Too Ashuu

La seule chose à faire c’est de monter dans un camion et fermer les yeux sur trois kilomètres de stress. Baptisé Too Ashuu, ce tunnel est envahi d’une sorte de brouillard d’hydrocarbures qui déjà ne facilitent pas la visibilité, le pire étant la largeur de la route.

Ça a beau aller dans les deux sens de la circulation, il faut (en tant que poids lourd) frôler littéralement le mur du tunnel pour laisser passer les voitures de l’autre file. Le problème (Je ne suis pas ingénieur, mais il me semble que c’est déconseillé), c’est que si la citerne touche trop violemment le mur, ça peut créer une brèche et une étincelle… On est alors bons pour un beau feu d’artifices, une bonne centaine de morts dans les faits divers locaux et surtout un beau vélo perdu !

Cette idée m’a envahi la tête pendant toute la traversée de ce tunnel infernal, et la vision de mon vélo calciné (et moi aussi par la même occasion), ne me rendait pas très à l’aise.

Enfin on est passé, c’est bien le principal.

Stoppé à 60 km de Bichkek

La route continue sans trop d’accrocs quand le chauffeur s’arrête de manière complètement inattendue à 60 kilomètres de Bichkek en m’expliquant qu’il bifurque ici et que je n’ai plus qu’à finir à vélo.

Voici donc le contexte et la situation : il fait presque nuit, il pleut, je n’ai rien mangé depuis la veille, je sors d’une quasi nuit blanche et mon ventre est hors service.

Il est inenvisageable pour moi de pédaler de nuit sur 60 kilomètres dans cet état (d’autant plus que j’ai perdu mon phare avant sur cette route).

Deux options s’offrent à moi : rejoindre la route qui va vers Bichkek et tenter de trouver un nouveau véhicule, ou bien chercher en urgence un lieu où dormir ici. Je me prépare déjà à demander à des locaux de l’aide pour la nuit et j’observe les alentours, les commerces, les personnes dehors… mais je veux d’abord me donner une demi-heure pour trouver une voiture pour la ville.

Je n’aurai besoin que de 5 minutes !

Deux très sympathiques jeunes frères d’une vingtaine d’années qui vont à la capitale pour le travail mettent le vélo sur leur remorque et me déposent dans la banlieue de Bichkek.

J’arrive à 22h à mon auberge, fatigué et mal en point, mais heureux d’être arrivé à bon port et de pouvoir me reposer pour de bon.

>>> ETAPE SUIVANTE : 90. Survivre jusqu’à Almaty (KAZAKHSTAN)

Charles

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