Moyen-Orient

64. Une autoroute azéri (Salyan Azerbaïdjan)

Ce début de matinée est triste, c’est le moment des adieux. François va rester un bon moment en terre azéri, il a tout son temps et la bière ne coûte rien, il n’en fallait pas plus pour le convaincre.

Nos routes doivent donc se séparer aujourd’hui. C’est un peu dommage mais c’est ainsi. Le voyage c’est la rencontre, mais aussi des adieux, trop d’adieux.

Un choix stratégique

J’enfourche mon vélo et je reprends la route en solitaire.

J’ai la chance pendant toute la matinée d’avoir un vent favorable qui me fait rouler à une moyenne de 25 km/h sans forcer.

Tandis que je répare mon dérailleur vers le kilomètre 35, je découvre un petit sentier menant à une autoroute en construction dont on m’avait déjà parlé, j’y vois un panneau Bakou et je réfléchis… Je décide alors de prendre le risque et de m’aventurer sur cette autoroute azéri vide en attendant de voir ce qui va se trouver sur ma route. Ma principale inquiétude étant de ne pas trouver de ravitaillement d’eau et surtout de devoir faire demi-tour devant une éventuelle fin de route ou barrage. Le risque est important, je n’ai aucune idée de ce qui m’attend, mais la tentation de pédaler des dizaines de kilomètres seul sur cette autoroute déserte est trop grande.

Un avant-goût du désert

J’y vais avec la même appréhension mêlée d’excitation qu’un spéléologue pourrait ressentir en s’engouffrant dans une grotte étroite et inconnue, avec pour seuls compagnons le noir, le silence et l’humidité.

Désert sur goudron

Ici, ce n’est pas le noir qui accompagne ma route, mais une lumière aveuglante et épuisante. Le silence, lui, est brisé par des rafales de vent. Et à défaut d’humidité, la sècheresse de l’air ambiant éponge le peu de salive qu’il me reste et tari bien trop rapidement mes maigres stocks d’eau.

Chacun son désert, chacun sa solitude, chacun sa croix. 

Autoroute, chaleur et solitude

J’apprécie l’isolement et le calme de cette route, mais il devient de plus en plus clair que l’eau va devenir rapidement un besoin urgent, car la chaleur est écrasante, le ciel est toujours plus bleu, et pas le moindre centimètre carré d’ombre pour se mettre à l’abri. Pas même un pont ou un poteau à l’horizon.

Ça dure comme ça depuis d’interminables kilomètres, heureusement le vent est ce matin mon allié et m’aide à avancer assez vite à peu de frais physiques. Merci Jean-Guy. Sur les premiers kilomètres, mes seuls camarades de route sont les serpents écrasés par centaines, dans un état de décomposition plus ou moins avancé me laissant entendre qu’il y a tout de même des voitures qui passent… mais quand ?

Tiens, des gens…

Je ne vois que la route, l’horizon infini, toujours, et rien. Et puis finalement, je commence à rencontrer autre chose que des cadavres de serpents : les ouvriers qui travaillent sur l’autoroute.

Tous me saluent, et souvent me demandent de m’arrêter. Je le fais à trois ou quatre reprises. L’occasion trop belle pour eux d’une pause un peu exotique. Ils m’offrent le thé, me demandent si j’ai besoin d’eau, on discute un peu.

Mes copains de l’autoroute

Savoir parler en azéri

Il me vient le souvenir précis de l’une de ces haltes sociales : Je passe devant un grand groupe d’ouvriers posés de l’autre côté de l’autoroute, quand l’un d’eux, dans son camion, me fait signe de m’arrêter. Je m’exécute, me rapproche, pose mon vélo sur la glissière de sécurité et l’enjambe pour passer de leur côté.

L’homme, très gentiment, me sert un thé dans un gobelet en carton, me donne du sucre et me pose quelques questions en azéri (langue turcophone). Le mois passé en Turquie m’ayant aidé à acquérir quelques bases linguistiques, mais étant surtout habitué à la musique phonétique de certaines questions récurrentes, je comprenais globalement ce qu’on me demandait.

Peu à peu les ouvriers viennent observer la curiosité que je suis, et je me retrouve rapidement encerclé par une bonne vingtaine d’hommes âgés de 16 à 50 ans.

Ça parle dans tous les sens, ça rit fort, ça demande des photos. Ce statut de star m’avait un peu manqué, je dois l’avouer. Je profite de leur générosité, je mange et bois de tout mon saoul, je fais le plein d’eau au cas où j’aurais besoin de camper sans ressources autour de l’autoroute, et je retourne au front. Ma maitrise de la langue azéri a des limites !

Quand le vent tourne

La guerre s’intensifie. Après une dizaine de kilomètres, le vent commence à se retourner peu à peu contre moi et à se renforcer. Les forces en présence s’inversent, à mon détriment. Mon allure diminue à vue d’œil. Ma vitesse, qui atteignait aisément les 20/25 km/h de moyenne ce matin est en train de passer péniblement à 10/15 km/h, en forçant bien plus. C’est un enfer, mais j’ai appris à supporter l’enfer en Europe. J’avance et ne plie pas. 

Je continue tant bien que mal, multipliant les pauses, buvant plus que jamais, et je finis par tomber sur une sortie d’autoroute menant à la route que j’aurais du prendre normalement, mais qui aurait rallongé mon itinéraire de presque 20 kilomètres si je l’avais empruntée dès le début. J’ai pris le risque de l’autoroute, pari gagné, je suis content.

En revanche le vent devient juste insupportable et ça ne sert plus à rien d’insister, à part gâcher son énergie pour culminer à 10 lamentables km/h. Je m’arrête donc à un petit café-restaurant sur le bord de la route pour planter ma tente dans leur jardin.

mon lieu de campement

>>> ETAPE SUIVANTE : 65. Vent et vélo (Bakou / AZERBAÏDJAN)

Charles

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