Bouleversant ! Cette période était bouleversante ! Je n’avais plus les mots sous les avalanches de grâces que ce voyage était en train de m’apporter chaque jour que Dieu avait la bonté de me donner à vivre. Je suis déjà amoureux de l’Anatolie et de la vie !
Non seulement les gens étaient de plus en plus gentils, mais ça s’accumulait sans fin. Tous les jours un peu plus. Je finissais par m’apercevoir que ce qui m’arrivait n’était ni un coup de chance ni un traitement de faveur, ici c’est la normalité. On accueille l’étranger comme on accueillerait son frère. Je commençais à reprendre foi en l’humain, je voyais de mes propres yeux que des millions d’hommes, et certainement même des milliards ne sont pas encore trop pervertis par la société de consommation et l’individualisme moderne. Ils ont conservé des valeurs supérieures à celles de l’argent : l’humain, l’amour du prochain, Dieu, le respect, le partage, la solidarité, la sincérité, le don de soi… Que de belles personnes, au regard honnête, transparent et au sourire bienveillant.
Chaque jour en Anatolie était plus beau et rendait mon âme plus belle. J’ai littéralement passé des moments de grâce à pleurer d’émotion seul sur mon vélo. J’étais juste touché par toutes ces générosités, tout cet amour, et je comprenais pour la première fois de mon périple pourquoi j’étais parti. J’ai quitté mon confort parisien pour ça, pour ce genre de moments lumineux qui suffisent à justifier une vie entière de supplices.
Nous sommes le samedi 7 avril 2018, ce jour de béatitudes dans lequel je me suis senti approcher le Nirvana est pour moi un symbole des bienfaits que peuvent apporter les hasards de la route. Ces aléas qui rendent le chemin infiniment plus riche que la froide et prévisible destination. Ce jour là, même la route me semblait facile. Je volais littéralement, porté par je ne sais quelle énergie intérieure, j’étais bien dans ma tête, bien dans mon coeur, et rien ne pouvait ralentir ce rythme effréné que je ne contrôlais pas moi-même. C’était comme si je subissais ce qu’il se passait. Je laissais passivement mes jambes avancer sans même avoir l’impression de fournir le moindre effort, porté par un Amour inconditionnel et nouveau envers l’humanité toute entière. Mon produit dopant à moi ! Peut être que les cyclistes du Tour de France devraient essayer l’agapé comme carburant, c’est plus sain et plus efficace que l’EPO ou les anabolisants.
Après avoir dévoré 70 kilomètres d’un simple claquement de doigts, je me retrouve devant un restaurant de route vers l’heure du déjeuner. Je m’y arrête et l’accueil que l’on me réserve est digne d’une star de cinéma. Plus précisément, les serveurs, après m’avoir posé des questions sur mon vélo et mon voyage ont ébruité ma présence parmi les autres clients qui ne manquèrent pas de se lever pour voir le héros à sa table, lui serrer la main, voir ce qu’il mange, s’il est bien réel. Le patron/cuisinier est venu lui-même s’asseoir à ma table pour déjeuner en ma présence et compléter le tableau, déjà garni de ses deux fils et du serveur. Ils m’ont offert plusieurs thés et ont semblé attristés de devoir me voir partir, j’avais l’impression de faire des adieux à de vieux amis alors que c’était juste le personnel d’un restaurant sur ma route. C’est beau.
Sur la suite de la journée, j’ai croisé sur la route des gens toujours plus amicaux que jamais. A mesure que j’avance en Anatolie, c’est désormais une personne sur deux qui me salue, m’invite à prendre un thé, me dit un mot d’encouragement ou juste un signe de tête accompagné d’un sourire.
En cette belle journée de samedi, il y avait des enfants partout dans les villages, ils cherchaient tous à entrer en communication avec moi, mais je tenais à garder ma moyenne et je ne pouvais pas me permettre de m’arrêter dans tous les villages… Je continuais donc ma route en leur accordant, telle la reine d’Angleterre, un salut de la main. Ca leur suffisait.
La fin de la journée sera la consécration. Après encore quelques kilomètres dévorés sans grande difficulté, excepté certaines côtes qui cachaient bien leur jeu, je découvre une station service plutôt bien placée. Je tente le coup et tombe directement sur Seldar, le fils du patron; un jeune homme à peine échappé de l’adolescence arborant un sourire et un regard d’une intense douceur. Il me propose au début de dormir dans la salle de prière en me confirmant que personne ne vient jamais prier. Ca ne me mettait pas vraiment à l’aise mais j’ai accepté en espérant que personne n’éprouve un désir de s’adresser à dieu pendant mon sommeil, étalé sur le tapis, le dos tourné à La Mecque. Après réflexion, on m’a déplacé plus tard dans leur salle de pause, avec un vrai lit, je ne me suis pas fait prier ! Seldar, l’héritier de la station service m’a accueilli comme un roi. Originaire de la petite bourgade d’Anatolie faisant face à la station, il a rapporté de chez sa grand-mère un délicieux dîner à partager, présenté sur un magnifique plateau d’argent, et bien sûr arrosé de grandes quantités de thé. Il y en avait suffisamment pour lui, les deux autres employés de la station et moi. Une soirée divine avec ces gens, au cours de laquelle nous avons eu de longues conversations sur la religion, l’islam et le catholicisme. Seldar m’a fait réciter la prière musulmane de la conversion, en guise de vengeance je lui ai fait répéter le “Je vous salue Marie”. Il a bien voulu jouer le jeu, j’étais aux anges.
Mais comme avec les joies viennent les problèmes, je n’ai pas été épargné par les crevaisons, dès le lendemain.
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