Mon dieu qu’il était difficile de quitter Balaban, ce village où les gens m’ont accueilli le cœur grand ouvert ! C’est magnifique et pourtant si cruel. Comme c’est souvent le cas, j’y serais volontiers resté plusieurs jours, mais mon voyage n’étant pas sensé durer 5 ans, je me suis fait violence et j’ai continué sur ma route sans me retourner. J’ai échangé quelques messages avec certains sur les réseaux sociaux les jours qui ont suivi mon départ. Leurs messages étaient : « ne nous oublie pas », « reviens vite nous voir », « tu es une bonne personne », « as-tu besoin d’aide ? « … Que de messages touchants !
J’avais pour objectif, en quittant le village, d’affronter les 90 kilomètres qui me séparent de Malatya, et surtout un redoutable mur de montagnes sans précédent jusqu’ici. Épuisé après cette longue nuit passée à chercher en vain un sommeil égaré, je ne me sentais pas physiquement capable de franchir ces cols.
Le but est maintenant clair : si je croise dans la montée un véhicule avec une remorque, je tente de l’arrêter pour m’aider à escalader ce mur. Je suis prêt à tout prendre, même un chariot derrière une mule pour faire 500 mètres me délecterait. Je commence donc à aborder très généreusement une ascension sans fin, sur une route vide, sans le moindre espoir d’aide à l’horizon, que de simples voitures. Mes jambes, déjà mortes avant de partir se sont mises en mode automatique. Elles ont compris que j’étais hermétique à tout message de leur part, alors elle font le boulot sans se plaindre. Je suis trempé de sueur, pris en sandwich entre ce soleil étouffant et cette côte interminable. C’est alors qu’à 1700 mètres d’altitude déjà, je vois apparaître au loin un ange ayant pris l’apparence d’un camion à remorque d’un blanc immaculé. Je le vois approcher lentement, à pas de loup… Mais un gentil loup… Je m’arrête, et mets pied à terre, commence à fixer le chauffeur dans les yeux et je donne tout ! C’est maintenant ou jamais ! Pouce en l’air, grand sourire innocent et des yeux insistants, légèrement tristes pour faire pitié mais pas trop pour ne pas faire peur, une transpiration abondante sur mon front (pas trop non plus, il ne faut pas le dégoûter), et l’estocade finale : un petit geste de la main montrant l’angle de la pente. Touché ! Il ralentit et s’arrête. Je mets mon vélo sur la remorque et monte à ses côtés.
Nouveau coup de chance, j’apprends qu’il passe par Malatya, ma destination. Je me prive peut être du plaisir de la descente mais au moins j’arriverai tôt pour profiter de la ville. Le chauffeur s’est arrêté pour déjeuner dans un restaurant de route. En bon turc, il m’a offert mon déjeuner malgré mes protestations d’usage, et nous sommes repartis sur la route.
Il est temps de passer aux explications. Ça a beau être un voyage à vélo, je dois confesser que j’ai parfois usé de l’auto-stop, en particulier en Turquie. Au début il a été difficile pour moi de le faire sans sacrifier ma bonne conscience, le but du voyage étant avant tout de traverser ces contrées par la force de mes jambes, mais la forme et le concept de mon voyage se sont peu à peu transformé. Si au moment du départ il était beaucoup question d’exploit sportif et physique, le cours de ce périple m’a appris que le plus beau est avant tout dans le hasard et l’expérience. L’usage du vélo est principalement un prétexte, un moyen, une fenêtre d’accès au monde, et également un formidable vecteur de rencontres. Les populations locales sont toujours bienveillantes envers les cyclistes, en particuliers lorsque ceux-ci sont seuls. Ils ne voient pas dans l’étranger que je suis un potentiel danger. Bien au contraire, c’est l’autre qu’ils voient en moi, l’autre en tant que prochain. L’autre, ce voyageur que l’on a le devoir d’aider sur sa route. Ils ne voient plus qu’un brave voyageur inoffensif qui a fait l’effort de venir à eux. L’auto-stop est devenu également un autre moyen de se heurter à des locaux et de se laisser aller à la providence. Ne plus être dans le controle, être ouvert à la surprise. Ca m’a aussi permis occasionnellement de franchir des cols redoutables et préserver ainsi mon énergie pour les nouvelles rencontres. Aussi, si à l’origine de mon voyage, je visualisais l’auto-stop comme une abominable hérésie, une forme de résignation et de honte, il n’en sera rien dans la pratique, car c’est finalement un sacré défi en soi et une gratification immense. Faire de l’auto-stop à pied est déjà parfois chose difficile, mais avec un vélo et des bagages, ça devient une mission bien compliquée qui oblige à jouer le coup très finement car les automobilistes ont peu l’habitude de prendre des cyclistes sur leur engin. La technique est donc se retourner régulièrement tout en roulant, faire le tri et arriver à distinguer le véhicule qui a les moyens technique de nous aider. Une fois la proie repérée, il faut stopper sa marche, descendre du vélo au plus vite et montrer son pouce tout en expliquant avec des gestes qu’il s’agit de nous aider à monter la pente. Trouver un camion ou même un tracteur est alors une récompense qui apporte un plaisir et une satisfaction rare, ça en devient quasiment addictif. Prochaine addiction en vue, les nuits d’hôtel offertes.
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