Moyen-Orient

21. Je ne suis plus seul sur mon vélo (Anatolie / TURQUIE)

Il convient de rappeler que ce récit est une somme de morceaux choisis, il m’a fallu sacrifier de nombreux passages pour ne pas imposer 1000 articles à l’humanité. Faisons donc un saut d’une semaine dans le temps, il y a eu mes premières montagnes, mes premiers bivouacs turcs, Eskişehir, Ankara, des bonnes et des mauvaises rencontres. Nous sommes donc tôt le matin en Anatolie, et je quitte Ankara en direction d’Aksaray. Je vais expérimenter l’accueil en Anatolie sur mon vélo.

Aborder la route d’Anatolie avec confiance

Commençons par l’état d’esprit avec lequel j’ai abordé cette route d’Anatolie. Le vent était contre moi toute la journée, mais je m’en moquais. J’admirais le gigantisme des paysages (ça apprend l’humilité), je comptais le nombre de douilles et de balles perdues sur le bord de la route (ça, ça apprend à profiter de l’instant présent), bref tout allait bien malgré les conditions très défavorables. Ne plus se lamenter sur son sort, ne plus se plaindre… car il y a toujours de belles choses à apprécier quand nos yeux sont grands ouverts. Ce jour-là en Anatolie pour la première fois sans doute, mes yeux et mon vélo étaient ouverts au positif et à la surprise. Et dans cet état d’esprit, quand on prend la route avec confiance, optimisme et amour, quand la peur n’est plus un frein à la coïncidence et aux bienfaits que la vie peut nous apporter, il ne nous arrive que des belles choses.

Je confirme ! Mais le mental Ă©tait au top


Le début de la route était tout de même une mise en bouche assez violente, avec à peu près 45 minutes de côtes pour sortir de l’agglomération d’Ankara. C’est pendant la descente que je me suis rendu compte qu’en fait il faisait froid ! 8° sur mon compteur. J’enfile mes gants et je reprends la route bien décidé à lui faire un sort ! Je pédale bien et effectue une première pause dans une station service bordant l’autoroute. Je mange des barres sucrées et je bois de l’eau. Une voiture se gare devant moi. Trois hommes d’âge mûr en sortent et commencent à m’adresser la parole spontanément en anglais. De mon coté, l’esprit positif et ouvert, je leur répond, et nous engageons une agréable conversation sur mon voyage. Les hommes retournent à leur véhicule, puis en ressortent et me donnent trois canettes de boisson énergisante et une bouteille d’eau. Un cadeau purement gratuit et inestimable qui donne une énergie folle. Bien plus que le cadeau en lui même, le geste est magnifique. Il me chante à l’oreille que ces hommes de passage que je ne reverrai certainement jamais de mon existence ont de la considération pour moi, j’existe à leurs yeux et je ne suis pas seul sur la route. La suite de la journée validera cette impression.

Ma famille de ce soir. Non mais regardez moi la bonté dans leur regard !

Le bon plan de la station service

Le corps rempli de ces ondes positives, je décide 80 kilomètres plus tard de m’arrêter dans une station service Shell du bord de la route pour demander au personnel si je peux poser ma tente à côté de leur station. Mais voilà, je commence à comprendre quelque chose. Lorsqu’on aborde les gens le coeur rempli d’amour, le regard positif et le désir d’échanger avec eux, il s’opère une réaction chimique qui va au delà des mots et que les gens ressentent – surtout dans ces contrées où l’émotionnel a encore un peu l’avantage sur le rationnel – ces personnes perçoivent la bonté et la renvoient avec la générosité et la démesure inhérente à leur culture. Ils m’ont accueilli encore mieux que je ne l’aurais imaginé dans mes rêves. Trois employés qui travaillaient 24 heures d’affilée ce jour là. J’avais la certitude qu’ils seraient également là toute la nuit pour assurer mes arrière. J’ai pu poser ma tente sur une zone d’herbe bien grasse et accrocher mon vélo à un arbre. J’ai ensuite, comme à mon habitude, récupéré deux ou trois litres d’eau dans leurs toilettes pour, à moitié dissimulé derrière ma tente, rincer les 100 kilomètres de transpiration qui se sont cumulés pendant toute la journée et enfiler des vêtements propres et secs… le meilleur moment de la journée ! Enfin prêt à avoir une vie sociale civilisée, je m’approche de mes camarades du soir pour leur raconter un peu mon histoire, et j’ai la surprise de me voir invité immédiatement dans le local du personnel. Le récital commence ! Quel accueil ! Vive l’Anatolie ! Ils m’offrent le meilleur fauteuil quitte à être eux-mêmes debout et restent tous les trois pour profiter de ma présence. Ils m’offrent spontanément du thé, ce qui est la base en Turquie, ainsi que des gâteaux orientaux (extrêmement sucrés et addictifs). Le plus âgé, Hasan, parle l’allemand, et l’un des jeunes, Ahmed, parle un peu l’anglais, donc nous avons pu communiquer à peu près correctement. Bien sur la conversation a dû se mettre à l’échelle du vocabulaire emprunté, mais ces hommes du quotidien parlent plus avec leurs gestes et leurs sourires qu’avec des discours. En me voyant dévorer, quoique discrètement, leurs succulents gâteaux, Ahmed sort de la pièce et revient quelques minutes plus tard avec un kebap (Sandwich turc rempli de viande) acheté au restaurant qui partage leur aire d’autoroute. Il me le tend, je refuse poliment, il insiste, j’accepte et l’engloutis. Ensuite ce sont les employés du restaurant qui viennent me voir pour me demander si j’ai apprécié leur sandwich et parler un peu avec moi et Ahmed dans le rôle de l’interprète. Je finis par leur fausser compagnie, sentant les conséquences directe des kilomètres sur le poids de mes paupières. Le lendemain matin, mes trois amis de la station viennent jusqu’à ma tente pour me donner un sac rempli de provisions. Ils ont tout simplement terminé leur service et n’envisagent pas de rentrer chez eux sans m’offrir un beau cadeau de départ. Des chips, une bouteille d’eau, des bonbons, des biscuits… et même des médicaments contre le rhume car ils avaient remarqué la veille à juste titre que je commençais à couver quelque chose (le contre coup de la route d’hier, plus froide que prévue).

Cadeau d’adieux

Tant de gentillesse et d’attention a eu le mérite de me toucher très profondément. Ces gens ne me connaissaient pas et ne vont certainement plus jamais croiser ma route mais ils ont écouté leur cœur. Ils étaient simplement heureux de me faire ce cadeau. Moi je voyais des anges me faire leurs adieux. 

Je ne suis pas seul… cette phrase va résonner en moi tout le reste de mon parcours à vélo en Anatolie. Les difficiles journées dans le froid européen sont derrière moi, et je commençais peu à peu à le comprendre. Chaque jour me confirmera cette intuition nouvelle en une accumulation de bienfaits et de grâces qui déboucheront quotidiennement sur des effusions d’émotions, un sentiment de bonheur si intense que seules les larmes pourront évacuer ce trop plein de joies pour un coeur encore trop petit pour tout ça. Il va se muscler, grandir encore et perfectionner sa capacité à recevoir l’amour de la route.

>>> ETAPE SUIVANTE : 22. Ici, c’est l’Asie (Aksaray / TURQUIE)

Charles

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