Au milieu de nulle part en Russie, avec la forêt comme seule compagnie. Je suis épuisé et j’accumule les tentatives de campements avortées. Me faisant repartir à chaque fois pour quelques kilomètres. Je ne perds pas espoir. Je vois encore sur ma carte à 5 kilomètres de là une sorte de restaurant… Il est désaffecté. L’espoir qui me retenait encore en vie retombe brutalement. Je suis épuisé, le derrière me brûle, je sens aussi les caresses viriles du soleil sur mon visage après ces quelques heures d’exposition, et mes provisions d’eau commencent à s’approcher de la réserve. Il faut vite trouver un endroit où remplir les stocks pour la nuit.
C’est devenu la nouvelle priorité. Je prends donc mon courage à deux mains et je repars sur la route pour faire 22 kilomètres de plus en direction d’une station service.
J’y arrive en mille morceaux, mais heureux qu’elle soit bien ouverte, j’achète de l’eau et remplis une autre bouteille avec de l’eau non potable qui me servira pour ma toilette. Je tente une première approche dans la forêt sur la rive droite de la route et me fais immédiatement dévorer par des dizaines de moustiques énormes.
Je rebrousse vite chemin et choisis dans un premier temps de me laver près de la station, caché derrière une grande poubelle. Non, la toilette en compagnie ces suceurs de sang n’était même pas envisageable. Ici, pas de moustiques, mais des curieux qui se demandent qui est ce vagabond en maillot de bain et tongs qui se douche avec une bouteille en plastique. Je préfère ça aux moustiques. Avec l’habitude, la tolérabilité de la honte apprend à dépasser ses limites chaque jour.
Humilié, mais propre, je me prépare à affronter mes futurs assaillants. Je couvre au maximum ma peau, et je repars au front sur cette même rive droite.
Je cherche un lieu convenable et ne trouve rien de mieux que des chemins entièrement tapissés de tessons de bouteille, des zones impraticable, des ronces, des marais… Rien de bien accueillant. Je fais demi-tour, emportant avec moi des dizaines de piqûres. (pire que la retraite de Russie !) Oui, ces moustiques aux si belles proportions ont la qualité formidable de pouvoir piquer au travers des vêtements, la nature est quand même bien faite. Jamais vu de forêt aussi inhospitalière… c’est la Russie.
Chou blanc de ce côté de la route. Je tente ma chance de camping sauvage sur la rive gauche.
Je trouve alors un petit sentier qui laisse apparaître des zones plus planes et accessibles. Se projette déjà la possibilité de planter ma tente dans le coin qui n’est pas un idéal de discrétion, mais il commence à se faire tard et je ne suis pas certain de trouver mieux. Je plante donc ma tente, attaqué de partout par ces mêmes moustiques. Un exercice de haute volée… A peu près aussi complexe que de lire une oraison funèbre en se faisant chatouiller les pieds. J’y arrive tout de même.
La mission suivante est de faire un feu pour me préparer un bon plat de pâtes.
Je tente dix minutes, mais il suffit que je reste immobile dix secondes pour avoir automatiquement une bonne quinzaine de moustiques posés un peu partout sur moi occupés à se régaler de mon sang gavé de sucre (j’ai fait l’erreur stratégique de boire un coca avant). Dix minutes de tentatives désespérées successives, à chaque fois écourtées prématurément par la sensation des piqûres.
Tentative de la dernière chance… je fais abstraction de ce qui se passe autour, oublie les piqûres, insiste, résiste… mais la limite du supportable est franchie au moment où, mis en confiance, les moustiques commencent à entrer dans les narines et les oreilles. Là on dit “STOP” et tant pis pour le feu !
Je finis donc par abandonner, considérant à juste titre que la seule place où les moustiques ne me suivront pas, c’est dans la tente. Je mets toutes les affaires que je peux dans la tente, dont moi, je picore ce que je trouve à manger et je découvre un jeu absolument délicieux…
Encore démangé de partout par leurs assauts, je décide de me venger à ma manière : dehors il fait noir, et la lumière émanant de ma tente attire des nuées de moustique venant se coller sur la fine toile qui les sépare de moi. Je tente une pichenette sur l’un des moustiques, et le bruit sec de l’insecte se cognant violemment sur la doublure de la tente est jouissif ! Je vais jouer à ça pendant trente bonnes minutes avant d’éteindre les lumières et me reposer de mon épuisante cruauté génocidaire.
Cette forêt crie, craque, siffle, brame… J’ai à chaque instant l’impression que quelqu’un ou quelque chose est en train de s’approcher de moi. Et si je risque une sortie pour vérifier, je vais me faire dévorer tout cru par l’armée de moustiques réservistes qui attend dehors, un peu comme un taureau qui va entrer dans l’arène. Je resterai donc dans ma tente. Tant pis pour les bruits, ce ne sont que des branches qui tombent… ou un ours.
Nuit agitée et réveil aux aurores, je vais m’efforcer de quitter le plus vite possible ce nid à moustiques mangeurs d’hommes. Malheureusement ils sont aussi matinaux que moi.
J’essaye de plier ma tente tout en faisant des gestes improbables pour chasser les intrus qui rodent en bande autour de moi. Je vais jusqu’à me frapper moi-même le visage dans l’espoir qu’un moustique se trouve par chance entre ma main et ma joue. Mais impossible d’échanger les rôles… La proie ici, c’est moi. Je fuis donc avec mes affaires accrochées très approximativement au vélo, le but étant juste de quitter au plus vite cet endroit hostile.
La lisière du bois sera un lieu de consolation rare, placé sous la protection de la non-forêt, enfin ! Ces moustiques ne s’aventurent apparemment pas hors de l’ombre des arbres, tant mieux pour la route ! En Russie, la forêt est un vrai territoire hostile, je retiendrai la leçon.
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