Le problème quand on s’impose une date d’arrivée, c’est qu’on doit avancer par tous les moyens, quelles que soient les conditions. Retour sur un épisode tumultueux avec comme objectif les Pays-Bas.
Münster, 8h du matin, l’heure du départ a sonné. Je dois aller à Eindhoven aux Pays-Bas, à 220 kilomètres d’ici, où un ami m’attend.
Premier problème, je pensais que ces deux nuits de pause à Münster m’aideraient à retrouver l’usage de mon derrière, mais il n’en est rien. Les douleurs ont légèrement diminué, mais pas suffisamment pour rendre le voyage supportable. Mon coccyx a clairement encore besoin de repos.
Cerise sur le gâteau, la mĂ©tĂ©o m’offre un vent redoutable pile dans ma direction pour plusieurs jours. Il me faut impĂ©rativement respecter ma date d’arrivĂ©e, le 15 septembre. Je suis dans l’obligation d’avancer coĂ»te que coĂ»te, mais physiquement, c’est l’impasse. Je me rĂ©signe donc, et j’achète un billet de bus sur internet pour Eindhoven.Â
J’attends sagement le bus en pensant que l’encombrement du vélo ne serais qu’une formalité à régler, je devrais juste payer un supplément auprès du chauffeur pour le vélo, il y a toujours un emplacement pour les vélos sur les bus de cette compagnie, me disais-je.
Je suis donc plutôt serein. Je vois un bus arriver, sans marque apparente dessus, supposant qu’il ne s’agisse pas du mien, je vérifie tout de même la pancarte collée à l’avant du bus. Il est écrit Eindhoven, Pays-Bas. Je comprends alors que j’ai affaire à un prestataire extérieur sous contrat avec FlixBus.
Les conséquences sont lourdes : il n’existe pas de porte vélo à l’arrière de ces bus. Je commence à enrager intérieurement, et me dirige tout droit vers le chauffeur. Il a lui-même déjà repéré mon vélo et il me dit directement, avant même que je lui adresse la parole « Kein fahrrad », ce qui signifie « pas de vélo ». Il ne parle pas anglais et est sans doute l’une des cinq personnes les plus fermées à la discussion que j’ai pu rencontrer (les quatre autres étaient également des allemands).
Je tente tout, je propose de l’argent, je demande à un jeune allemand de m’aider pour la traduction, mais le chauffeur me répond sans cesse la même phrase : “Kein fahrrad”. Buté.
Je n’arrive pas Ă me rĂ©signer, la rĂ©alitĂ© me semble si incomprĂ©hensible, d’autant que la soute Ă bagages est Ă moitiĂ© vide, et qu’il peut très bien faire une petite entorse Ă la règle, mais impossible de discuter avec cet homme. Il est verrouillĂ© comme une porte de prison.Â
Aussi bien qu’avec l’espoir viennent la politesse et la courtoisie, je constate qu’avec l’abdication viennent les injures. Je n’ai plus rien à perdre et je l’ai accepté, alors comme Mathieu avec le chauffeur de taxi iranien, je l’insulte sans ménagement en français, il ne comprend pas, mais ça soulage.
Sur le moment je repense à toutes ces situations où j’ai pu mettre sans difficultés mon vélo dans un bus ou dans une voiture, en Iran et en Asie centrale.
Dans ces pays, il y a toujours moyen de s’arranger, on passe outre les règles sans s’infliger de problèmes inutiles.
J’ai pensé à ce jour au Tadjikistan où j’ai trouvé un taxi pour aller à Douchanbé par les montagnes, il s’agissait d’une petite Opel Corsa, et le chauffeur ainsi que les passagers se sont tous mis en 4 pour que je puisse faire entrer mon vélo dans le coffre. Les autres clients étaient véritablement en train d’aider le chauffeur à démonter mon vélo pour le faire entrer dans un petit coffre pendant que je les regardais en subissant complètement la situation.
Aujourd’hui, je réalise le gouffre abyssal qui sépare cette situation avec ce chauffeur qui refuse de mettre mon vélo dans son énorme coffre à peine rempli, uniquement parce qu’il y a des règles, qu’il faut les respecter, et que ça n’impactera pas directement son salaire.
Je me vois en haut de ce gouffre culturel dont je ne vois même pas le fond. J’en ai le vertige. Ces pays me manquent tellement ! Je distingue si peu d’humanité et d’empathie dans le regard de cet homme, c’est comme si la machine avait pris le dessus sur son cœur, sur son libre arbitre, et qu’il l’avait accepté. Tel un homme qui aurait vendu son âme au diable. La machine est efficace, mais triste et sans relief. Pour ne pas arranger son cas, cet homme a même eu le culot de me reprocher de ne pas parler correctement allemand ! Je lui ai simplement répondu en anglais d’un ton toujours plus exaspéré : « Tu n’as jamais vu de touriste de ta vie ? Je suis un voyageur, désolé de ne pas parler ta langue ! »
Il ne me faudra pas beaucoup de temps pour que je remette mes sacoches sur le vélo et que je roule en direction de la gare pour tenter maintenant le coup avec les trains.
Au guichet le mieux que l’on a à m’offrir est un voyage avec trois changements pour 65 €. Je refuse immédiatement, sors de la gare et me pose au calme pour réfléchir. Je commence à me résigner, il va falloir remonter sur le vélo et faire ces deux jours de route qui me séparent d’Eindhoven.
Je pense à mes douleurs, je pense à l’itinéraire, je pense à mes stocks de nourriture, au fait que demain sera dimanche et que tout sera fermé, je pense au vent défavorable, j’envisage même une route de nuit pour avoir un vent plus doux, je pense au temps que j’ai déjà perdu sur cette journée…
Et puis je me demande pourquoi je devrais me bloquer à Eindhoven, juste parce que j’ai un ami sur place. Dangereuse zone de confort… zone de prison plutôt ! Je suis un aventurier, oui ou merde ?! Je peux juste m’excuser et aller ailleurs !
Je regarde les connexions avec Maastricht aux Pays-Bas, qui est aussi sur la route de Paris et je tombe sur un bus direct qui accepte les vélos et qui est même moins cher que le premier bus. Seul problème, il va arriver à 2h du matin à Maastricht. Qu’à cela ne tienne, au pire je dormirai sur un banc jusqu’à ce qu’il fasse jour, et je me ferai peut-être des copains parmi les SDF du coin, et en prime j’aurai peut-être droit à un petit coup de gnôle gratuit. Ces perspectives bien réjouissantes m’ont convaincu : je vais à Maastricht !
Bus réservé, je resterai deux nuits sur place
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