La frontière est passée, nous sommes en Azerbaïdjan. Sur notre lancée, nous prenons deux pintes chacun pour le déjeuner et arrivons une heure plus tard à Lankaran, nous volons littéralement sur nos destriers, portés par les pouvoirs magiques du malt et du houblon. Le contre-coup ça sera pour demain, cadeau !
Heure d’arrivée : 15 h. Suffisamment tôt pour trouver un hôtel pour la nuit, s’acheter une carte SIM, tirer de l’argent et continuer à boire des bières en grande quantité pour rattraper le temps perdu. On a envie de tomber amoureux de l’Azerbaïdjan.
Après un premier bar en terrasse et une demi-dizaine de pintes chacun, on remarque brutalement que l’on a plein de choses passionnantes à se raconter et l’on devient les meilleurs amis du monde. Mon statut passe de “toléré” à “apprécié”.
Nous changeons de QG, à la recherche d’un lieu dans lequel on pourrait franchir l’étape supérieure. À quelques pas de notre hôtel, nous tombons sur un petit troquet sans prétention, un lieu typique où ne viennent que les habitués du coin pour bavarder, regarder passivement l’écran de télévision qui trône au-dessus du bar et jouer à des jeux de cartes en gardant au bec des heures durant la même cigarette éteinte.
On s’installe, on nous observe, on soutient le regard car on n’a peur de rien quand on est un peu alcoolisé. Le patron vient nous voir, François sympathise avec lui, lui fait comprendre qu’on a soif mais qu’on a besoin de passer la seconde… il comprend, et nous sert sa vodka maison. C’est à ce moment là où ma mémoire commence à me faire défaut.
Voici, dans le texte, et avec un regard éthylisé ce qu’il s’est passé par la suite :
“François est de plus en plus copain avec le patron qui vient régulièrement nous voir à la table pour remplir nos verres vides. Je ne les ai pas comptés. François parle et rigole fort. Les hommes le regardent de plus en plus, pas forcément amusés… je souris beaucoup pour masquer mon embarras. François est bourré, il a plus bu que moi. J’espère qu’il n’a pas l’alcool mauvais, je ne connais pas encore cette facette de sa personnalité. Je reste sur mes gardes. Nous sortons du bistrot. Nous titub… marchons jusqu’à l’hôtel. François veut rester encore un peu à l’extérieur pour fumer une dernière cigarette. Il est très enthousiaste et a tellement envie de parler ! Il est très différent. On le croirait revivre. Il m’offre le spectacle d’un numéro de funambule en déséquilibre permanent, jonglant à chaque instant entre sa cigarette, ses paroles et le réajustement de ses pieds. Il est parfois proche de tomber. J’hésite entre le rire et la tristesse, mais l’ivresse m’aide à faire mon choix. Ça sera le rire. Il se décide à rentrer se coucher, j’ouvre la porte de notre chambre et le laisse s’effondrer sur son lit, le corps à moitié suspendu dans le vide. Calme précaire, mon ami se relève rapidement pour soulager une envie pressante qui a eu l’impudence de débarquer comme ça, sans prévenir ! “Quelle salope d’envie de pisser ! On dérange pas les gens qui dorment !”, me dit-il à juste titre. Tandis que François entame un débat philosophique avec sa vessie, je lui jette les clés de la chambre pour qu’il l’ouvre lui-même. Erreur d’appréciation de ma part. Les derniers shots ingurgités commencent à pénétrer dans les veines de mon camarade, et viennent parachever le travail déjà bien trop engagé. Les clés rebondissent sur son ventre et s’écrasent au sol. Il ne tient littéralement plus debout et semble même incapable d’ouvrir la poignée de la porte. Je le guide, l’oriente, lui ouvre la porte et lui laisse faire ce qu’il est le seul à pouvoir accomplir.”
François restera une nuit de plus dans cet hôtel, moi je dois avancer. Je partirai tôt demain en direction du nord. Cap sur Bakou. C’est petit l’Azerbaïdjan, ça sera rapide !
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